Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/66

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lieux un arc fait par Matthieu de Duncaster, arquebusier, qui vivait il y a au moins cent ans, célèbre par la solidité des armes qu’il fabriquait, et qui sont devenues aujourd’hui presque inutiles, attendu que même un archer anglais ne saurait s’en servir. — Comment êtes-vous sûr du nom du fabricant, mon digne hôte ? — J’ai reconnu la marque du vieux Matthieu, et ses initiales tracées sur l’arc. Je ne suis pas médiocrement surpris de trouver ici une pareille arme, et si bien conservée. — Elle a été régulièrement frottée, huilée et tenue en bon état, car nous la conservons comme trophée d’un jour mémorable. Ce serait vous faire de la peine que de vous en conter la vieille histoire, puisqu’elle a été prise dans un combat fatal à votre pays. — Mon pays, » répliqua l’Anglais avec calme, « a gagné tant de victoires, que ses enfants peuvent bien se résigner à entendre parler d’une seule défaite ; mais je ne savais pas que les Anglais eussent jamais été en guerre contre la Suisse. — Pas précisément comme nation ; mais, du temps de mon grand-père, une bande considérable de soldats pillards, composée d’hommes de presque toutes les contrées, et particulièrement d’Anglais, de Normands et de Gascons, se répandit dans l’Argovie et dans les districts adjacents. Ils étaient conduits par un guerrier fameux, nommé Enguerrand de Coucy, qui prétendait avoir certaines contestations à vider avec le duc d’Autriche : pour faire valoir ses droits, il ravagea indifféremment le territoire autrichien et celui de la Confédération. Ses soldats étaient des guerriers mercenaires… des compagnies franches, ainsi qu’ils s’appelaient eux-mêmes… qui n’appartenaient à aucun pays, et étaient aussi braves dans le combat que barbares dans leurs déprédations. Une suspension momentanée des guerres continuelles entre la France et l’Angleterre avait privé la plupart de ces bandes de leur occupation ordinaire ; et comme se battre était leur élément, ils étaient venus le chercher dans nos vallées. L’air semblait de feu, tant brillaient leurs armures, et le soleil lui-même était obscurci, tant étaient nombreuses les flèches qu’ils lançaient. Ils nous firent beaucoup de mal, et nous essuyâmes d’horribles défaites en plus d’une rencontre ; mais nous les joignîmes un jour à Buttisholz, et nous mêlâmes le sang de maint cavalier, ou noble, car chacun de ces deux mots avait la même signification, à celui de son cheval. Le haut monticule qui recouvre les os des hommes et des coursiers est encore appelé tombeau des Anglais. »

Philipson garda le silence une minute ou deux, puis répliqua :