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serait difficile dans un pays où il n’y a point de chevaux ; et quand même il y en aurait, point de plaines pour servir de carrière. Mais on va lui donner un arc anglais, puisque par hasard nous en possédons un. Portez-le à ces jeunes gens, ma nièce, avec les trois flèches, et dites-leur de ma part que le drôle qui le bandera fera plus que n’aurait pu faire Guillaume Tell ou le fameux Stauffacher. »

Pendant que la jeune fille allait prendre l’arc en question qui était suspendu au milieu du trophée d’armes que Philipson avait déjà remarqué, le marchand anglais fit observer que, si les ménestrels de son pays avaient à assigner une occupation à une si jolie demoiselle, ils ne la chargeraient de porter d’autre arc que celui du petit dieu aveugle Cupidon. — Je ne veux pas entendre parler du dieu aveugle, de ce Cupidon, » répliqua vivement Arnold, en même temps néanmoins qu’il souriait à demi ; « nous avons été assourdis par les sottises des ménestrels[1] et des chanteurs ambulants, depuis le jour où ces maudits vagabonds ont trouvé qu’il y avait quelque argent à ramasser chez nous. Une fille des montagnes devrait seulement chanter les ballades d’Albert Ischudi, ou le joyeux lai qu’on chante pour conduire les vaches au pâturage, ou pour les ramener[2]. »

Pendant qu’il parlait, la jeune demoiselle avait choisi parmi les armes un arc d’une force extraordinaire, haut de beaucoup plus de six pieds, et trois flèches longues d’une aune. Philipson demanda à les voir, et les examina attentivement. « Voilà un fameux morceau d’if, dit-il, et je dois m’y connaître, puisque j’ai fait commerce de pareille marchandise dans mon temps ; mais quand j’avais l’âge d’Arthur, je l’aurais bandé aussi aisément qu’un petit garçon plie une branche de saule. — Nous sommes trop vieux pour nous vanter comme de petits garçons, » répliqua Arnold Biederman en lançant un coup d’œil de reproche à l’étranger. « Porte l’arc à tes cousins, Anne, et laisse celui qui le tendra dire qu’il a vaincu Arnold Biederman. » En parlant ainsi, il tourna les yeux sur les membres grêles, mais nerveux de l’Anglais, puis les reporta sur son propre corps robuste et bien conservé.

« Vous devez vous rappeler, mon cher hôte, dit Philipson, que les armes se manient moins par la force que par l’art et la souplesse de la main. Ce qui m’étonne le plus, c’est de voir en ces

  1. Minnesingers, dit le texte ; ménestrels allemands. a. m.
  2. Le Ranz des vaches. a. m.