Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/63

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fisse partie de cette ambassade : de là le voyage dans lequel je vous propose de m’accompagner. — Je serai fort satisfait de faire route en votre compagnie, mon cher hôte ; mais, à vous parler franchement, il me semble que votre maintien et votre figure vous font ressembler plus à un porteur de défi qu’à un messager de paix. — Et moi je pourrais dire aussi que votre langage et vos sentiments, mon honorable hôte, appartiennent plutôt à l’épée qu’à l’aune. — Je fus en effet élevé pour les armes, mon digne monsieur, avant de prendre l’aune en main, » répliqua Philipson en souriant, « et il se peut que je sois encore plus partial pour mon ancien état que la sagesse ne devrait sans doute me le recommander. — Je pense comme vous ; mais vous avez très vraisemblablement combattu sous la bannière de votre pays contre un ennemi étranger et national ; et j’admettrai que, dans ce cas, la guerre a quelque chose en soi qui élève le cœur au dessus du sentiment pénible que doivent nécessairement lui faire éprouver les malheurs infligés et soufferts de part et d’autre par les créatures de Dieu ; mais celle où je fus engagé n’avait pas une pareille excuse : c’était la misérable guerre de Zurich, où des Suisses tournèrent leurs piques contre les poitrines de leurs propres compatriotes ; et l’on se refusa quartier dans le même langage des montagnes, où l’on se le demandait dans le langage ordinairement amical. Votre mémoire en vous retraçant vos expéditions guerrières n’est probablement pas chargée de pareils souvenirs. »

Le marchand baissa la tête et passa la main sur son front en homme à qui les idées les plus pénibles étaient subitement rappelées.

« Hélas ! répliqua-t-il, je mérite de ressentir la peine que m’infligent vos paroles. Quelle nation peut connaître les malheurs de l’Angleterre, si elle ne les a point éprouvés… Quel œil peut les apprécier justement, s’il n’a point vu une terre saignante et déchirée par la lutte de deux factions irréconciliables, des batailles livrées dans chaque province, des plaines jonchées de cadavres, des échafauds abreuvés de sang ! Même dans vos tranquilles vallées, ce me semble, vous pouvez avoir entendu parler des guerres civiles d’Angleterre ? — Je me souviens, en effet, que l’Angleterre a perdu ses possessions en France pendant les longues années d’une guerre sanglante et intérieure, concernant la couleur d’une rose… n’est-ce pas ?… Mais cette guerre est terminée. — Pour le moment, répondit Philipson, il le semblerait. »