Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/59

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posant qu’il existe un pareil espace de terrain plat dans ce pays, il me semble que je parviendrais à calmer leur gaité au lieu de l’entretenir. Il est aussi inconcevable de voir des rustres si grossiers sous le même toit avec une demoiselle si parfaite et si aimable, qu’un de leurs vilains ours dansant un rigodon avec une jeune personne telle que la fille de notre hôte. Mais je n’ai pas besoin de m’inquiéter beaucoup de sa beauté ou de leurs usages du monde, puisque demain me séparera d’eux à tout jamais. »

Tandis que ces réflexions occupaient l’esprit d’Arthur, le père de famille ordonna qu’on servît un flacon de vin, et, exigeant des deux étrangers qu’ils lui fissent raison avec une coupe d’érable d’une largeur extraordinaire, il envoya un semblable gobelet à Rodolphe Donnerhugel. « Vous pourtant, cousin, dit-il, vous êtes accoutumé à boire des vins plus savoureux que la piquette qu’on tire des grappes à demi mûres de Geierstein… Le croiriez-vous, monsieur le marchand ? » continua-t-il en s’adressant à Philipson, « il y a des bourgeois à Berne qui envoient chercher du vin pour leur table en France et en Allemagne. — Mon parent désapprouve ce luxe, répliqua Rudolphe : pourtant toutes les contrées n’ont pas le bonheur de posséder des vignobles comme ceux de Geierstein qui produit tout ce que peuvent désirer le cœur et les yeux. » Il prononça cette phrase en jetant un coup d’œil à sa belle compagne qui ne parut pas goûter le compliment, tandis que l’envoyé de Berne continua : « Mais nos plus riches bourgeois, se trouvant avoir quelques couronnes de trop, ne voient aucune extravagance à les donner en échange d’un gobelet de vin meilleur que celui que peuvent produire nos montagnes. Mais nous serons plus sobres quand nous aurons à notre disposition des tonneaux de vin de Bourgogne, rien qu’en nous donnant la peine de les transporter. — Que voulez-vous donc dire, cousin Rudolphe ? dit Arnold Biederman. — Il me semble, mon respectable parent, répondit le Bernois, que vos lettres doivent vous avoir appris que notre diète va probablement déclarer la guerre à la Bourgogne. — Ah !… ah… vous connaissiez donc le contenu de mes lettres ? répliqua Arnold ; nouvelle preuve que les temps sont bien changés à Berne et dans la diète de la Suisse. Quand nos hommes d’état à cheveux gris sont-ils donc morts, pour que nos alliés aient admis des jeunes gens sans barbe dans leurs conseils ? — Le sénat de Berne et la diète de la confédération, » dit le jeune homme, partie par honte, partie par le désir de justifier ce qu’il avait dit auparavant, « per-