Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/470

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Anne et sa sollicitude pour la rendre heureuse prouveraient sa reconnaissance pour le père de son épouse ; et observant que le comte écoutait avec un certain plaisir le tableau qu’il traçait de leur vie future, il ne put s’empêcher de s’écrier : « Et vous… monseigneur… vous qui aurez été l’auteur de toute ma félicité, n’en serez-vous pas témoin, ne la partagerez-vous pas ? Croyez-moi, nous parviendrons à adoucir les rudes coups dont la fortune vous a frappé, et si un rayon de lumière meilleure brille sur nous, il nous sera d’autant plus précieux si vous pouvez en jouir aussi. — Bannissez ce fol espoir, répliqua le comte Albert de Geierstein. Je sais que ma dernière heure approche… Écoutez et tremblez : le duc de Bourgogne est condamné à mort ; les juges invisibles qui rendent en secret leur sentence et l’exécutent en secret ont remis la corde et le poignard entre mes mains. — Oh ! jetez loin de vous ces infâmes symboles ! » s’écria Arthur avec enthousiasme ; « qu’ils prennent des bouchers et des assassins ordinaires pour remplir un pareil office, et ne déshonorez pas le noble comte de Geierstein. — Silence, jeune insensé, répliqua le comte. Le serment qui me lie est plus haut que les nuages du ciel, plus profondément enraciné que ces montagnes que nous voyons là-bas. Ne pensez pas non plus que mon action soit celle d’un assassin, quoique je puisse me prévaloir du propre exemple du duc. Je n’envoie pas des mercenaires, comme le sont ces infâmes stradiotes, chercher à lui ôter la vie, sans exposer la mienne. Je ne donne pas à sa fille… innocente de ses crimes… le choix entre un mariage déshonorant et une honteuse retraite hors du monde. Non, Arthur de Vere, je cherche Charles avec la détermination d’un homme qui, pour arracher la vie à son adversaire, s’expose à une mort certaine. — Je vous en supplie, ne parlons plus sur ce sujet, » dit Arthur avec instance, « songez que je sers actuellement le prince que vous menacez… — Et que vous êtes tenu, interrompit le comte, à lui rapporter ce que je vous dis. Je désire que vous le lui rapportiez ; et quoiqu’il ait déjà négligé une sommation du tribunal, je m’estime heureux d’avoir cette occasion de lui envoyer un défi personnel. Dites à Charles de Bourgogne qu’il a injurié Albert de Geierstein. L’homme blessé dans son honneur n’attache plus aucun prix à la vie, et le mépris qu’il en fait lui assure celle de son ennemi. Conseillez-lui de bien se garder de moi, puisque, s’il voit deux soleils de la nouvelle année s’élever au dessus de ces Alpes lointaines, Albert de Geierstein sera parjure… Et maintenant pars, car j’aperçois un