Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/455

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« il est plus mal que de coutume, mais peut-être reconnaîtra-t-il votre voix. »

Jamais, lorsque le duc de Bourgogne était au plus haut de sa prospérité, le noble Anglais ne s’agenouilla pour lui baiser la main avec un respect plus sincère. Il respectait en lui non seulement l’ami affligé, mais encore le souverain humilié qui avait vu naguère la meilleure citadelle renversée par la foudre. Ce fut probablement la chute d’une larme sur sa main qui sembla éveiller l’attention du duc, car il regarda le comte, et dit : « Oxford… Philipson… mon vieux… mon seul ami, as-tu donc pu me découvrir dans cette retraite de honte et de misère ? — Je ne suis pas votre seul ami, monseigneur, répondit Oxford ; le Ciel vous a donné beaucoup d’amis affectionnés parmi vos sujets loyaux et naturels. Mais quoique étranger, et sauf le dévouement que je dois à mon légitime souverain, je ne le céderai à aucun d’entre eux sous le rapport du respect et de la déférence que j’ai toujours témoignés à Votre Altesse dans la prospérité, et que je viens à présent lui rendre dans l’infortune. — Dans l’infortune !… en effet, dit le duc, dans une irrémédiable, une intolérable infortune ! J’étais naguère Charles de Bourgogne surnommé le Téméraire… maintenant, me voilà deux fois battu par une écume de paysans allemands ; voilà mon étendard pris, mes hommes d’armes mis en fuite, mon camp deux fois pillé, et ces deux fois, une valeur plus qu’égale au prix de toute la Suisse, irrévocablement perdue ! me voici enfin chassé comme une chèvre timide ou un chamois… Le plus terrible courroux de l’enfer n’a jamais accumulé plus de honte sur la tête d’un souverain ! — Au contraire, monseigneur, répliqua Oxford, c’est une épreuve du Ciel qui nécessite patience et force d’esprit. Les plus braves et les meilleurs chevaliers peuvent perdre les arçons ; ce n’est qu’un lâche qui demeure étendu sur le sable de la lice après que l’accident lui est arrivé. — Ah ! un lâche, dis-tu ? » repartit le duc, une partie de son ancienne humeur se réveillant à ce dur reproche. « Monsieur, sortez de ma présence, et ne paraissez plus que je ne vous fasse mander exprès. — Et j’espère que ce sera aussitôt que Votre Altesse aura eu le temps de quitter son déshabillé et de se disposer à recevoir ses vassaux et ses amis avec toute l’étiquette qui convient à elle et à eux, » dit le comte avec calme.

« Que voulez-vous donc dire, seigneur comte ? vous m’insultez. — En ce cas, monseigneur, ces circonstances m’ont fait désapprendre mon savoir-vivre. Je puis gémir sur la grandeur tombée ; mais