Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/444

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secours à attendre. — Est-il possible que la puissance d’un si grand souverain ait été anéantie dans une fatale bataille ? — Nullement. Il a fait une grande perte à Granson ; mais pour un État aussi fort que la Bourgogne, ce n’est qu’une égratignure sur une épaule de géant. Le mal, c’est que le courage de Charles lui-même, sa sagesse du moins et sa prévoyance ont cédé à la honte d’avoir été battu par des ennemis qu’il croyait méprisables, et qu’il s’attendait à exterminer avec quelques escadrons de ses hommes d’armes. Puis son caractère est devenu morose, obstiné, arbitraire ; il se voue à ceux qui le flattent, et qui, comme il y a trop lieu de le croire, le trahissent ; et au contraire il soupçonne ceux de ses conseillers qui lui donnent de salutaires avis. Moi aussi, j’ai eu ma part de sa méfiance. Tu sais que j’ai refusé de porter les armes contre nos hôtes les Suisses, et il n’a rien vu là qui dût m’empêcher de le suivre à l’armée. Mais depuis la défaite de Granson, j’ai remarqué un changement complet et soudain, dû peut-être aux insinuations de Campo-Basso, et quelquefois aussi à l’orgueil blessé du duc, qui n’était pas charmé qu’une personne indifférente, et dans ma position, pensant comme je pensais, fût témoin de la disgrâce de ses armes. Il a parlé devant moi d’amis tièdes, d’hommes neutres et froids pour sa cause… de gens qui, n’étant pas avec lui, devaient être contre lui. Je te l’avoue, Arthur, le duc m’a dit des choses si offensantes pour mon honneur que, sans les ordres exprès de la reine Marguerite, sans les intérêts de la maison de Lancastre, je n’aurais pu me résoudre à rester dans son camp. Mais tout est consommé… ma royale maîtresse n’a plus besoin de mes services… Le duc ne peut prêter aucun appui à notre cause… et quand même il le pourrait, nous ne serions plus à même de disposer du seul salaire qui aurait pu le décider à nous secourir. Tout moyen de seconder ses vues sur la Provence est enterré avec Marguerite d’Anjou. — Quel est donc votre projet ? — Je me propose d’attendre à la cour du roi René que nous recevions des nouvelles du comte de Richemond, comme nous devons encore l’appeler. Je sais que des bannis sont rarement bien venus à la cour d’un prince étranger ; mais j’ai toujours fidèlement suivi sa fille Marguerite. J’ai seulement dessein d’y résider incognito, et je ne désire ni attentions ni secours ; il me semble donc que le roi René ne me refusera point la permission de respirer l’air de ses domaines jusqu’à ce que je sache dans quelle direction m’appellera la fortune ou le devoir. — Soyez certain qu’il vous accordera tout. René est incapable d’une basse