Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/426

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excusez-moi, car je dois défendre ma cause… qu’auriez-vous dit si ma mère Yolande avait pu conseiller à son père de désavouer votre Édouard, dans le cas où Dieu lui aurait permis de gagner la Provence sain et sauf ? — Édouard, » répondit Marguerite en sanglotant, « était incapable de faire épouser à ses amis une querelle qui n’aurait eu aucune chance de succès. Aussi la sienne était-elle une cause pour laquelle de puissants princes et d’illustres pairs ont mis la lance en arrêt, — Cependant le Ciel ne l’a point bénie, répliqua Vaudemont. — La vôtre, continua Marguerite, n’est soutenue que par les nobles brigands d’Allemagne, les turbulents bourgeois des villes du Rhin et les misérables manants des cantons confédérés. — Mais le Ciel l’a bénie, répliqua Vaudemont. Sachez, femme hautaine, que je viens interrompre vos viles intrigues, non pas comme un petit aventurier subsistant et faisant la guerre plutôt par ruse que par force, mais comme un vainqueur quittant un champ de bataille sanglant, où le Ciel a dompté l’orgueil du tyran de Bourgogne. — C’est faux ! » dit la reine en tressaillant ; « je ne vous crois pas. — C’est vrai, répliqua Vaudemont, aussi vrai que le ciel est au dessus de nous… Il y a quatre jours que j’ai quitté la plaine de Granson, couverte des innombrables cadavres des mercenaires de Charles… de ses richesses, de ses joyaux, de son argenterie, de ses décorations, butin des pauvres Suisses, qui pourraient à peine en dire la valeur. Connaissez-vous ceci, reine Marguerite ? » continua le jeune soldat en montrant le bijou bien connu qui décorait le collier de l’ordre de la Toison-d’Or porté par le duc ; « ne croyez-vous pas qu’il fallait que le lion fût chassé de près pour laisser de pareils trophées derrière lui ? »

Marguerite regarda avec des yeux hagards et l’esprit tout bouleversé un signe qui confirmait la défaite du duc et la ruine de ses dernières espérances. Son père, au contraire, fut frappé de l’héroïsme du jeune guerrier, qualité qui, sauf ce qu’en avait conservé sa fille Marguerite, s’était, il en avait grand’peur, éteinte dans sa famille. Admirant au fond du cœur le jeune homme qui s’exposait au péril pour mériter des louanges, presque autant que les poètes qui immortalisent la gloire du guerrier, il pressa son petit-fils sur son sein, l’invitant à compter toujours sur son épée, et l’assurant que, si l’argent pouvait avancer ses affaires, lui roi, René, avait à ses ordres dix mille écus dont Ferrand pouvait disposer en tout ou en partie ; prouvant de la sorte ce qu’on a souvent dit de lui, que sa tête était incapable de contenir deux idées à la fois.