Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/401

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son royal père, parce qu’il amenait généralement devant elle les hommes dont il croyait les productions propres à calmer son chagrin. De fait, elle semblait écouter les harpistes avec dégoût, et à l’exception d’un Anglais ambulant qui chanta une ballade sauvage et mélancolique, laquelle lui arracha un torrent de larmes, et à qui elle donna une chaîne de prix, elle ne parut jamais en remarquer aucun d’eux ni s’apercevoir de leur présence. Et enfin, comme j’ai eu l’honneur de le dire à Votre Seigneurie, elle a refusé de voir son père même, à moins qu’il ne vînt seul, ce qu’il n’a jamais eu le courage de faire. — Je ne m’étonne pas, dit le jeune homme, par le cygne blanc ! Je suis plutôt surpris que toutes ces joyeusetés ne l’aient pas rendue folle. — Peu s’en est fallu en effet qu’il n’arrivât quelque chose de semblable, répliqua Thibaut, et je vais conter à Votre Seigneurie comment. Vous devez savoir d’abord que le bon roi René, ne voulant pas abandonner sa fille au démon de la mélancolie, se décida à tenter un grand effort. Vous saurez ensuite que le roi, habile dans l’art des troubadours et des jongleurs, passe pour posséder une grande adresse à diriger les mystères, les processions, et tous les autres amusements si gais et si délicieux par lesquels notre sainte Église permet de varier et d’égayer les plus graves cérémonies, à la grande satisfaction de tous les véritables enfants de la religion. Il est reconnu que personne n’a jamais surpassé le vieux monarque dans son talent à disposer une fête-Dieu ; et l’air dans lequel les diables donnent la bastonnade au roi Hérode, à la grande édification de tous les spectateurs chrétiens, est de la royale composition de notre bon souverain. Il a dansé à Tarascon dans le ballet de sainte Marthe et du Dragon, et il a été regardé, pour sa personne, comme le seul acteur capable de remplir le rôle du Tarasque. Sa Majesté a de plus introduit un nouveau rituel dans la consécration de l’enfant-évêque, et composé une partition entière de musique grotesque pour la fête des Ânes. En un mot le grand talent de notre monarque est l’invention de ces cérémonies agréables qui sèment de fleurs le chemin du salut et envoient les hommes au ciel en chantant et en dansant.

« Le bon roi René, convaincu de son génie pour ces compositions récréatives, résolut de faire tous les frais d’imagination possibles, dans l’espérance de parvenir ainsi à chasser la mélancolie dans laquelle était plongée sa fille, et qui s’attachait à tout ce qu’elle approchait. Il y a peu de temps qu’il arriva à la reine de s’absenter pour quelques jours, je ne sais pourquoi, mais cette ab-