Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/385

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son qu’en se tenant sur le pied de la familiarité avec cet homme, dont les connaissances semblaient vraiment remarquables, il pourrait se faire meilleur juge de ses opinions et de ses dispositions à son égard. En retour de sa condescendance, il obtint bon nombre de renseignements sur la province dont il approchait.

À mesure que les confins de la Provence devenaient moins éloignés, les communications de Thibaut étaient moins réservées et plus intéressantes. Il pouvait non seulement dire le nom et l’histoire des châteaux romantiques devant lesquels ils passaient dans leur route détournée et incertaine, mais encore il savait par cœur l’histoire chevaleresque des nobles seigneurs et barons qui en étaient actuellement propriétaires ou qui les avaient jadis possédés, et il était à même de raconter leurs exploits contre les Sarrasins pour repousser leurs attaques contre la chrétienté, ou leurs efforts pour arracher le Saint Sépulcre aux mains des infidèles. Dans le courant de ces récits, Thibaut fut conduit à parler des troubadours, poètes par instinct et d’origine provençale, différant beaucoup des ménestrels de Normandie et des provinces voisines de France, dont les contes de chevalerie et les nombreuses traductions de leurs œuvres, faites en langues gallo-normande et anglaise, étaient parfaitement connues et possédées à fond par Arthur, comme par presque tous les jeunes nobles de son pays. Thibaut se vantait de ce que son grand-père, d’humble naissance, il est vrai, mais d’un talent distingué, était un de ces hommes favorisés du ciel, dont les compositions avaient produit tant d’effet sur le caractère et les mœurs de leur siècle et de leur pays. Il était pourtant à regretter qu’en inculquant comme premier devoir de la vie un esprit singulier de galanterie, qui dépassait parfois les formes platoniques qu’elles prescrivaient, les poésies des troubadours servissent trop souvent à amollir et à séduire les cœurs, à corrompre les principes.

L’attention d’Arthur fut attirée sur ce point par l’histoire d’un troubadour, que Thibaut lui chanta avec assez de talent. Ce troubadour, nommé Guillaume Cabestaing, aimait d’amour une noble et belle dame, Marguerite, femme d’un baron appelé Raymond de Roussillon. Le jaloux mari obtint la preuve de son déshonneur, et, après avoir assassiné Cabestaing, il lui arracha le cœur, et le faisant apprêter comme celui d’un animal, il ordonna qu’on le servît à son épouse ; et quand elle eut mangé de ce mets horrible, il lui avoua ce dont était composé son repas. La dame répondit que puisqu’on lui avait fait prendre une nourriture si précieuse, jamais un