Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE XXVI.

L’ESPION.

… Je remercie humblement Votre Altesse, et je m’estime heureux de rencontrer cette bonne occasion pour me faire complètement vanner, afin que mon blé se sépare de ma paille.
Shakspeare.

Colvin, l’officier anglais auquel le duc de Bourgogne, avec une bonne paie et de riches appointements, avait confié le commandement de son artillerie, était propriétaire de la tente désignée pour le logement de l’Anglais, et reçut le comte d’Oxford avec le respect dû à son rang et selon les ordres spéciaux du duc à ce sujet. Il avait été lui-même partisan de la maison de Lancastre, et par suite il se trouvait bien disposé en faveur d’un de ces hommes distingués et peu nombreux qu’il avait connus personnellement, et qui avaient gardé une constante fidélité à cette famille, malgré la longue série d’infortunes sous lesquelles peu s’en fallait qu’elle n’eût entièrement succombé. Un repas que son fils avait déjà entamé fut offert au comte par Colvin, qui ne manqua point de recommander, par précepte et par exemple, le bon vin de Bourgogne dont le souverain de la province était lui-même obligé de s’abstenir.

« Son Altesse, dit Colvin, possède sous ce rapport un grand empire sur lui-même. Car, je vous le dis tout bas et comme on cause entre amis, son caractère devient trop fougueux pour supporter la chaleur qu’une coupe de cette liqueur cordiale donne au sang : aussi fait-il sagement de se résigner à des breuvages qui peuvent plutôt refroidir qu’enflammer le feu naturel de son caractère. — J’ai pu m’en apercevoir, répondit le noble lancastrien. Lorsque je fis la connaissance de l’illustre duc, qui était alors comte de Charolais, son caractère, quoique toujours passablement impétueux, était la douceur même, si l’on compare les emportements qui se manifestent à présent chez lui à la moindre contradiction. Telle est la suite d’un cours non interrompu de prospérités. Il s’est élevé par son propre courage, et grâce à des circonstances favorables, de la situation incertaine de prince feudataire et tributaire au rang des plus puissants princes de l’Europe, même jusqu’à se déclarer roi indépendant. Mais j’espère que les nobles étincelles de généro-