Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/302

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jeune personne et à Arthur un sujet d’entretien étranger à leur situation présente, elles les mirent à même de ne pas songer à ce qu’elle avait d’embarrassant, et d’échanger des sourires aux dépens de la pauvre Annette. Elle ne fut pas long-temps à s’en apercevoir, et moitié piquée, moitié ravie de trouver une occasion de dire sa pensée, elle s’écria d’un ton fort vif : « Vous venez, Dieu me pardonne ! de vous amuser tous les deux à mes dépens, parce que j’aurais préféré me lever et prendre moi-même ce qu’il me fallait plutôt que d’attendre jusqu’à ce que ce pauvre diable, qui n’a point cessé de trotter entre la table et le buffet, eût le temps de me servir. Vous riez maintenant de moi, parce que je vous appelle par les noms tels qu’ils vous furent donnés dans la sainte Église à votre baptême, et parce que je vous dis tu et toi en m’adressant à mon Junger et à ma Jungfrau, comme je dirais à Dieu si je priais le ciel à genoux. Mais quant à vos belles manières du grand monde, j’ose vous déclarer que vous êtes comme des enfants qui ne savent pas ce qu’ils veulent, qui perdent à plaisanter le seul instant qu’ils peuvent avoir pour assurer leur bonheur. Voyons, ne sourcillez pas, ma douce baronne ; ma chère maîtresse ; j’ai trop souvent regardé le mont Pilate pour avoir peur d’un front sourcilleux. — Paix, Annette, dit la baronne ; ou bien sortez. — Si je ne vous aimais pas plus que je ne m’aime moi-même, répliqua l’obstinée et persévérante soubrette, je sortirais de cette chambre, et du château par dessus le marché, vous laissant le soin de tenir ici votre ménage avec votre aimable sénéchal Ital Schreckenwald. — Si ce n’est par amitié, par respect du moins, par compassion, garde le silence ou sors. — Non, répliqua Annette, ma flèche est lancée, et je ne fais qu’effleurer ce que tout le monde disait sur le gazon de Geierstein, le soir où l’arc de Buttisholz fut tendu. Vous savez que l’ancien dicton… — Paix ! paix ! pour l’amour du ciel ! ou je vais prendre la fuite, dit la jeune baronne. — Oh ! alors, » reprit Annette changeant tout-à-coup de ton, comme craignant que sa maîtresse ne se retirât en effet, « s’il faut que vous preniez la fuite, nécessité doit avoir son cours. Je ne connais personne qui puisse la suivre… Cette même maîtresse, signor Arthur, voudrait avoir pour soubrette, non pas une simple fille de chair et de sang comme moi, mais une femme de chambre dont le corps fût composé de ce léger duvet qu’on trouve sur les plantes, et qui ne respirât que la quintessence de l’air. Le croiriez-vous ? il est certaines personnes qui pensent très sérieusement qu’elle tient de la race des esprits