Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/267

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au moine qui était assis à côté de lui, en se conformant toutefois au ton bas qui semblait être si fort à la mode pour le moment, si le digne ecclésiastique qui venait de les quitter n’était pas le prêtre de Saint-Paul qui résidait dans la ville frontière de La Ferette.

« Et si vous savez quel il est, » répondit le moine avec une physionomie et un ton qui soudain ne trahirent plus aucun signe d’ivresse, « pourquoi me le demandez-vous donc ? — Parce que je serais bien aise, répliqua le marchand, de savoir quel charme a subitement changé tant de joyeux buveurs en hommes à manières sobres, et une gaie compagnie en une grave assemblée de chartreux. — Ami, » répliqua à son tour le moine, « tes discours annoncent que tu connais parfaitement les choses dont tu veux te faire informer. Mais je ne suis pas encore oison assez sot pour me laisser prendre à ce piège. Si tu connais le prêtre noir, tu ne peux ignorer les terreurs qui accompagnent sa présence, et il serait moins dangereux de lâcher une plaisanterie dans la sainte chapelle de Lorette que dans un lieu où il se montre. »

À ces mots, et comme désirant éviter une plus longue conversation, il s’éloigna de Philipson.

Au même moment, l’aubergiste rentra, et d’un air plus habituel aux gens de sa profession que celui qu’on lui avait vu prendre jusqu’alors, commanda à son domestique Geoffroy de passer à la compagnie une boisson soporifère, qu’on nommait le coup de l’oreiller, composée d’une liqueur forte mêlée d’épices, boisson véritablement aussi bonne que celle dont Philipson lui-même pouvait avoir jamais goûté. Cependant John Mengs, d’un ton un peu plus poli, déclara à ses hôtes qu’il se flattait que son repas les avait contentés, mais ce fut d’une manière si insouciante, et il sembla tellement convaincu de mériter les éloges qu’on lui décernait de toutes parts, qu’il y avait manifestement peu d’humilité à énoncer une pareille proposition. Le vieillard Timothée compta pendant ce temps-là les convives, et calcula avec de la craie au fond d’une assiette de bois le montant de la dépense, dont les détails furent indiqués en signes hiéroglyphiques convenus ; et quand la division de la somme totale fut faite par le nombre des hôtes, il se mit à recueillir l’écot de chacun. Quand la fatale écuelle, où chacun déposait la somme voulue, approcha du joyeux moine, sa physionomie s’altéra d’une manière sensible. Il jeta un regard piteux vers Philipson, comme vers l’individu dont il pouvait le plus attendre du secours ; et notre marchand, quoiqu’il gardât rancune au moine pour la manière dont