Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/258

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la chambre, et montant sur le haut d’un vieux baril, il promena lentement et attentivement ses regards autour de la salle encombrée, et quand il eut achevé son inspection, il prononça d’un ton décidé le double commandement : « Fermez les portes… dressez la table ! — Le baron saint Antoine soit loué ! dit le moine, notre hôte renonce enfin à l’espérance de recevoir plus de monde cette nuit ; et jusqu’à cette heure nous aurions bien pu mourir de faim avant qu’il nous offrît la moindre nourriture. Oui, voilà la nappe ; les vieilles portes de la cour sont assez bien fermées, et quand John Mengs a dit une fois : « Fermez les portes ! » l’étranger peut frapper en dehors aussi long-temps qu’il voudra, car bien certainement il ne lui ouvrira point. — Mein herr Mengs maintient une discipline sévère dans sa maison, dit l’Anglais. — Il est aussi absolu que le duc de Bourgogne, répliqua le moine. Après dix heures, on n’ouvre plus… La phrase : Cherchez une autre auberge, qui auparavant n’est qu’un avertissement conditionnel, devient, après que l’heure fatale a sonné, et que les gardes de nuit ont commencé leurs rondes, un ordre absolu d’exclusion : celui qui est dehors reste dehors, et celui qui est dedans doit de même y rester jusqu’à l’ouverture des portes au point du jour. Jusque là la maison est comme une auberge assiégée, John Mengs en est le sénéchal… — Et nous en sommes les prisonniers, bon père, interrompit Philipson. Eh bien ! je suis content, moi ; un voyageur sage doit se soumettre à la volonté des chefs dans les contrées qu’il parcourt, et j’espère qu’un bon gros potentat comme John Mengs sera aussi clément que sa puissance et sa dignité le lui permettront. »

Pendant qu’ils causaient de cette manière, le vieux domestique, poussant maints longs soupirs, maints gémissements, avait tiré certaines planches au moyen desquelles une table qui se trouvait au milieu du stube pouvait s’alonger suffisamment pour recevoir toute la compagnie, et y avait étendu une nappe qui n’était remarquable ni par une extrême propreté, ni par la finesse de l’étoffe. Sur cette table, lorsqu’elle eut été agrandie de manière à contenir le nombre nécessaire de places, une assiette de bois, une cuiller et une coupe en verre furent placées à chacune des places. Les convives étaient supposés devoir faire usage de leur propre couteau pendant le souper ; quant aux fourchettes, elles ne furent connues qu’à une époque beaucoup plus rapprochée. Tous les Européens d’alors employaient leurs doigts pour prendre les morceaux et les transporter à leur bouche, comme le font encore aujourd’hui les asiatiques.