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cesse, continuait à hanter l’endroit où il avait commis le suicide, Antonio ne prétendait pas l’expliquer ; mais on voyait souvent, disait-il, une forme humaine sortir des ondes noirâtres et paraître se laver les mains. Quand le spectre se montrait ainsi, des masses épaisses de brouillard se réunissaient d’abord à l’entour du lac infernal (c’est ainsi qu’on l’appelait jadis), puis, enveloppant la partie supérieure de la montagne, présageait une tempête ou un ouragan qui ne tardait pas long-temps à suivre. Il ajouta que le mauvais esprit était particulièrement irrité de l’audace des voyageurs qui gravissaient la montagne pour contempler le lieu de sa punition, et qu’en conséquence les magistrats de Lucerne avaient défendu sous des peines sévères qu’on approchât du Mont-Pilate. Antonio se signa encore une fois en finissant son récit, et, dans cet acte de dévotion, il fut imité par ses auditeurs, trop bons catholiques pour concevoir aucun doute sur la vérité de l’histoire.

« Comme le maudit païen nous regarde d’un air refrogné, » dit le plus jeune des marchands, tandis que le nuage s’obscurcissait et semblait aller s’asseoir sur le front du Mont-Pilate. « Vade retro… je te défie, pécheur !!! »

Un vent qui s’éleva alors, mais qu’on put entendre plus que sentir, sembla annoncer, en hurlant du ton d’un lion mourant, que l’esprit du coupable acceptait le défi téméraire du jeune Anglais. On vit descendre des flancs raboteux de la montagne des masses lourdes d’un épais brouillard, qui, roulant à travers les hideuses crevasses dont l’affreuse montagne était entrecoupée, ressemblaient à des torrents de lave bouillante vomis par un volcan. Les immenses précipices qui formaient les côtés de ces hauts ravins montraient leurs pointes aiguës et déchiquetées au dessus de la vapeur, comme pour diviser les torrents de brouillards qui descendaient autour d’eux. Par un contraste frappant avec cette scène sombre et menaçante, la chaîne plus éloignée des monts Righi brillait de toutes les nuances d’un soleil d’automne.

Tandis que les voyageurs épiaient ce contraste bizarre et varié, qui semblait annoncer un combat prochain entre les puissances de la lumière et des ténèbres, leur guide, dans son jargon mêlé d’italien et d’allemand, les exhortait à doubler le pas. « Le village auquel il se proposait de les conduire, disait-il, était encore éloigné, la route était mauvaise et difficile à reconnaître ; et si le méchant Esprit, » ajouta-t-il en regardant le Mont-Pilate et en se signant, « envoyait ses ténèbres sur la vallée, le chemin serait alors dou-