Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/240

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commande d’aller au devant de la mort ne nous ordonne pas moins péremptoirement de sacrifier nos plus tendres affections. Il faut nous quitter. — Oh ! alors, » répliqua vivement son fils, « faites-moi du moins une concession : vous, mon père, passez le Rhin et laissez-moi continuer mon voyage par la route que nous voulions d’abord prendre. — Et pourquoi, je vous prie, suivrais-je une de ces routes de préférence à l’autre ? — Parce que, » répliqua Arthur avec chaleur, « je garantirais sur ma vie que cette jeune fille a dit la vérité. — Encore, jeune homme ! Et pourquoi mettre tant de confiance dans les paroles de cette jeune inconnue ? Est-ce simplement cette espèce de confiance qu’accordent les jeunes gens à la beauté qui les séduit, ou avez-vous eu précédemment avec elle des relations plus intimes que ne le fait supposer votre courte conversation d’aujourd’hui ? — Puis-je vous répondre ? Il y a long-temps que nous n’habitons plus le pays des chevaliers et des dames : n’est-il donc pas naturel que nous accordions aux personnes qui nous rappellent les glorieux devoirs de la chevalerie et de la noblesse la confiance instinctive que nous refusons, par exemple, à un pauvre misérable tel que ce vagabond qui gagne sa vie à tromper, avec de fausses reliques et des légendes forgées, les pauvres passants au milieu desquels il voyage ? — C’est une vaine imagination qui t’entraîne là, Arthur, assez convenable, il est vrai, à un aspirant aux honneurs de la chevalerie, qui puise ses idées sur la vie et le monde dans les romances des ménestrels, mais trop visionnaire pour un jeune homme qui, comme vous, a vu comment se pratiquent les choses d’ici-bas. Je vous dis, et vous apprendrez à reconnaître que je dis vrai, qu’autour de la table frugale de notre hôte le landam man étaient rangés des hommes au langage plus franc et au cœur plus loyal, que ceux dont la cour plénière d’un monarque peut se glorifier. Hélas ! le glorieux esprit de bonne foi et d’honneur antique a fui même du cœur des rois et des chevaliers, où, comme le dit le roi Jean de France, on devrait toujours le rencontrer, lors même qu’il serait banni du reste du monde. — Qu’il en soit ce qu’il pourra, mon excellent père ; mais, je vous en supplie, laissez-vous persuader par moi ; et s’il faut que nous nous séparions, alors du moins prenez la rive droite du Rhin ; car je suis persuadé que c’est la route la plus sûre. — Et si elle est la plus sûre, » répliqua son père avec une voix de tendre reproche, « est-ce une raison pour que j’épargne ma vie, moi dont la carrière est presque terminée, pour que j’expose la tienne dont le cours vient seulement de com-