Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/233

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Geierstein qu’il avait connue si gentille, si candide, si pure et si simple, avec l’idée qu’elle était fille d’un magicien, d’un esprit élémentaire, pour qui la nuit était comme le jour, et un donjon impénétrable comme le portique ouvert d’un temple ? Fallait-il ne voir en eux qu’un seul et même être, ou, bien qu’ils eussent tous deux mêmes formes et mêmes traits, l’un était-il habitant de la terre, l’autre seulement un fantôme qui avait permission de se montrer parmi les êtres d’une nature qu’il ne partageait pas ; surtout, ne devait-il jamais la revoir, ou entendre de sa bouche l’explication des mystères qui se mêlaient si étrangement aux souvenirs qu’il gardait d’elle ? Telles étaient les questions qui occupaient l’esprit du plus jeune voyageur, et l’empêchaient d’interrompre ou même d’observer la rêverie dans laquelle son père était plongé.

Si l’un ou l’autre de nos voyageurs eût été en disposition de se distraire par le pays au milieu duquel passait leur route, le voisinage du Rhin était bien propre à fournir cette distraction. Sur la rive gauche de ce noble fleuve, les terrains sont en effet plutôt plats et unis, et les montagnes de l’Alsace, dont une chaîne suit le cours de l’eau, n’en approchent pas assez près néanmoins pour beaucoup varier la surface plane de la vallée qui les sépare de la rive ; mais le large fleuve lui-même, roulant avec une effrayante rapidité et se précipitant avec force au milieu des petites îles par lesquelles son cours est interrompu, présente un des plus majestueux spectacles de la nature. La rive droite est imposante, et en même temps ornée par les nombreuses éminences couvertes de bois et coupées de vallons qui forment le district si bien connu sous le nom de Forêt-Noire, auquel la superstition attachait tant de terreur, et la crédulité une si grande multitude de légendes. Il offrait à la vérité des objets capables d’inspirer l’effroi. Les vieux châteaux qu’on voyait de temps à autre sur les bords du fleuve même, ou sur ceux des ravines et des larges ruisseaux qui viennent s’y jeter, n’étaient pas alors des ruines pittoresques rendues intéressantes par les histoires que l’on racontait sur leurs anciens habitants, mais constituaient les véritables châteaux-forts, en apparence imprenables, de ces chevaliers-brigands que nous avons déjà plus d’une fois mentionnés, et dont tant de merveilleuses légendes ont paru depuis que Gœthe, auteur né pour réveiller la gloire endormie de sa nation, a composé son drame de Goëtz de Berlichingen. Les dangers résultant du voisinage de ces forteresses n’étaient connus que sur la rive droite ou allemande du Rhin ; car la largeur et la profondeur de cette noble