Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/195

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l’eau à boire, un des farouches satellites qui le jetèrent dans son cachot lui répondit rudement qu’il pouvait endurer la soif pour le temps qui lui restait probablement à vivre… réponse affreuse qui annonçait que ses privations seraient prolongées aussi long-temps que sa vie, mais que l’une ne durerait pourtant pas plus que les autres. À la faible lueur de sa lampe, il s’était traîné vers un banc, sorte de siège grossier taillé dans le roc ; et comme ses yeux s’accoutumèrent insensiblement à l’obscurité du caveau où il était comme muré, il distingua, au milieu du plancher de son donjon, une profonde crevasse ressemblant assez à une ouverture de puits, mais de forme irrégulière, que l’on pouvait prendre pour la bouche d’un gouffre creusé par la nature, qui n’avait été que peu aidée par le travail d’une main humaine.

« Voilà donc ici mon lit de mort ! dit-il, et ce gouffre est peut-être le tombeau destiné à engloutir mes restes !… Non ; j’ai entendu parler de captifs plongés comme moi dans d’affreux abîmes pendant qu’ils étaient encore vivants, et qu’on laissait mourir à loisir, criblés de blessures, sans que leurs gémissements fussent entendus ou qu’on prît leur sort en pitié. »

Il approcha la tête de l’effrayante cavité, et entendit, comme à une grande profondeur, le bruit d’un torrent impétueux et souterrain, à ce qu’il lui semblait. Les vagues que ne pouvait éclairer le jour paraissaient murmurer dans l’attente de leur victime. La mort est terrible à tous les âges ; mais au printemps de la vie, alors que le cœur s’ouvre au sentiment des plaisirs et se prépare à les savourer, être arraché de force du banquet auquel on vient de s’asseoir, c’est chose épouvantable, quand même ce malheur arrive dans le cours ordinaire de la nature : mais être placé, comme le jeune Philipson, au bord d’un abîme souterrain, et réfléchir dans une horrible incertitude au genre de mort qui vous sera infligé, c’était une situation capable d’ébranler l’esprit le plus intrépide, et le malheureux captif ne pouvait aucunement retenir les larmes bien naturelles qui coulaient par torrents de ses yeux, et que ses bras garrottés ne lui permettaient pas d’essuyer. Nous avons déjà remarqué que, brave toutes les fois qu’il s’agissait de faire face à un péril accidentel, et de le surmonter à force d’activité, le jeune homme se laissait facilement entraîner par son imagination vive, qui le précipitait dans toutes les exagérations dont le résultat, dans une position d’une incertitude irrémédiable, est de distraire l’âme de celui qui est obligé d’attendre passivement l’approche d’un malheur.