Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/173

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clocher de l’église depuis plus d’une heure, lorsqu’un homme grand, maigre et assez vieux, enveloppé dans une robe de chambre par dessus laquelle était agrafé un large ceinturon soutenant à gauche une épée et à droite un poignard, s’approcha de la barbacane de la porte orientale. Sur sa toque se balançait une plume qui, de même qu’une queue de renard, était un emblème de noblesse dans toute l’Allemagne, et un ornement fort prisé par ceux qui avaient le droit de le porter.

La petite troupe de soldats qui avait occupé ce poste pendant le cours de la nuit précédente, et fourni des sentinelles pour la garde du dedans et du dehors, prit les armes en apercevant ce personnage, et s’aligna en rang comme une compagnie qui reçoit, avec le respect militaire, un officier d’importance. La physionomie d’Archibald d’Hagenbach (car c’était le gouverneur lui-même) exprimait cette morosité bourrue et ce penchant à la colère qui caractérisent le lever d’un libertin maladif. Sa tête tremblait, son pouls était fiévreux, et ses joues étaient pâles… symptômes dénotant qu’il avait passé la dernière nuit, selon son habitude, au milieu des coupes et des flacons. À en juger par la promptitude des soldats à prendre leurs rangs, par la crainte respectueuse respirant sur leurs visages, et par le silence qui régnait parmi eux, il semblait qu’ils fussent accoutumés à attendre et à redouter sa mauvaise humeur en pareille occasion. En effet, il leur lança un regard scrutateur et mécontent, comme s’il cherchait quelqu’un sur qui exhaler sa bile, puis il demanda où était « Kilian, ce chien de paresseux. »

Kilian se présenta aussitôt : c’était un vigoureux homme d’armes, à l’air farouche. Bavarois de naissance, et remplissant les fonctions d’écuyer près du gouverneur.

« Quelles nouvelles de ces rustres suisses, Kilian ? demanda Archibald d’Hagenbach. Il y a deux heures, suivant leurs habitudes frugales, qu’ils devraient être en route. Ces lourds paysans prétendraient-ils singer les manières des gentilshommes, et rester devant leur bouteille jusqu’au chant du coq ? — Sur ma foi ! ce pourrait bien être, répondit Kilian ; les bourgeois de Bâle leur ont donné tous les moyens de faire une orgie. — Comment cela, Kilian ?… Auraient-ils osé offrir l’hospitalité à ce troupeau de taureaux suisses, après l’ordre que je leur ai transmis d’agir tout autrement. — Les Bâlois ne les ont pas reçus dans leur ville ; mais j’ai appris par un espion sûr, qu’ils les ont mis à même de se loger à Graffs’-Lust qui était pourvu d’un bon nombre de jambons et de pâtés, pour ne rien dire