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CHAPITRE XI.

RÉCIT DE DONNERHUGEL.

Voici les doctrines de l’adepte : chaque élément est peuplé d’une race différente d’esprits ; les sylphes aériens flottent au milieu des airs azurés ; le gnome se cache dans les plus profondes cavernes de la terre ; la naïade, verte comme la mer, flotte sur les eaux de l’Océan, et le feu superbe présente encore une douce retraite à un esprit familier… la salamandre…
Anonyme.

« Je vous disais, reprit Rodolphe, que les seigneurs d’Arnheim, bien qu’ils fussent notoirement adonnés, de père en fils, à de secrètes études, étaient néanmoins, comme les autres nobles allemands, passionnés pour la guerre et la chasse. Ce fut particulièrement le cas de l’aïeul maternel d’Anne, Herman d’Arnheim, qui s’enorgueillissait de posséder un magnifique haras, et surtout un coursier si superbe que jamais on ne vit plus noble animal dans les cercles de l’Allemagne. Je ne ferais que de mauvaise besogne si j’essayais de décrire une pareille bête ; je me contenterai donc de dire qu’il était noir de jais, sans un poil blanc à la tête ni aux pieds. Pour cette raison, et pour la fougue de son caractère, son maître l’avait nommé Apollyon : circonstance qui fut secrètement considérée comme tendant à confirmer les mauvais bruits qui couraient sur la maison d’Arnheim, vu qu’il donnait, dit-on, à son animal favori, le nom d’un diable.

« Il arriva qu’un jour de novembre, le baron était allé à la chasse dans la forêt, et ne rentra au château qu’à la nuit close. Il n’y avait aucun hôte chez lui, car, comme je vous l’ai déjà donné à entendre, le château d’Arnheim recevait rarement d’autres personnes que celles dont ses habitants espéraient gagner une augmentation de science. Le baron était assis seul dans sa grande salle, éclairée par des candélabres et des torches. D’une main il tenait un volume couvert de caractères inintelligibles pour tout le monde, excepté pour lui-même ; il avait l’autre appuyée sur une table de marbre où était placé un flacon de vin de Tokai. Un page, debout, attendait respectueusement ses ordres, à l’extrémité du vaste et sombre appartement, et l’on n’entendait pas d’autre bruit que le vent du soir qui soupirait d’une façon lugubre à travers les cottes de mailles rouillées, et agitait les bannières flétries qui tapissaient