Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/92

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vous m’y forcez par esprit de contradiction, peut-être irai-je jusqu’à un temple. — Ne me provoquez donc pas, car vous voyez de quels excès je suis capable.

En tous cas, Alan, si vous condamnez comme artificiel le reste des propriétés de mon ami Geddes, il est une allée de saules au bord même de l’eau, si sombre, si solennelle, si silencieuse, qu’elle commanderait votre admiration. Le ruisseau, retenu à l’extrémité du domaine par une digue naturelle, — par une barrière de rochers, semblait, alors même que les eaux étaient grosses, ne couler qu’à peine ; et les branches que les pâles saules laissaient tomber dans l’eau, amassaient autour d’elles, en petits ronds, l’écume produite par le courant, qui plus haut était assez rapide. Le rocher élevé qui formait la rive opposée du ruisseau n’était vu qu’obscurément à travers les arbres, et sa crête pâle, dont chaque crevasse laissait échapper de longues guirlandes de ronces et d’autres plantes grimpantes, paraissait une barrière entre le paisible sentier que nous parcourions et le monde bruyant et affairé. Le sentier lui-même, suivant les détours du courant, décrivait une légère courbure, de façon à cacher complètement le but de la promenade, tant qu’on n’y était pas arrivé. Un bruit sourd et continu, qui augmentait à mesure que vous avanciez, vous préparait à ce dernier tableau. On trouvait là des sièges grossiers formés de racines d’arbres, et l’on apercevait le ruisseau qui se précipitait par-dessus la digue de rochers que j’ai déjà mentionnée.

La tranquille solitude de cette promenade faiblement éclairée en faisait un lieu convenable pour un entretien confidentiel ; et, comme je n’avais rien de plus intéressant à dire à ma belle quakeresse, je pris la liberté de la questionner sur le laird : car vous savez ou devez savoir qu’après les affaires du cœur, ce sont à celles des voisins que s’intéresse le plus le beau sexe.

Je ne cachai ni ma curiosité, ni la réserve avec laquelle Josué m’avait déjà répondu, et je vis que ma compagne ne répondait elle-même qu’avec embarras. « Je ne dois dire que la vérité, dit-elle ; et en conséquence je t’avouerai que mon frère n’aime point, et que moi je redoute l’homme sur qui tu m’interroges. Peut-être avons-nous tort tous deux ; — mais c’est un homme violent, et il jouit d’une grande influence sur grand nombre de gens qui, faisant les métiers de marin et de pêcheur, deviennent aussi intraitables que les éléments contre lesquels ils luttent. Il n’a point de