Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyait un ruisseau dont les ondes écumantes s’élançaient avec abondance et fracas sous un massif de bois taillis, comme un cheval de course impatient d’atteindre le bout de la lice ; et en observant avec plus d’attention, on pouvait apercevoir une haute cascade brillant à travers le feuillage, et occasionnant sans doute l’étonnante rapidité du ruisseau. Plus bas encore, son cours devenait plus tranquille, et il formait une pièce d’eau tout à fait calme, qui offrait un port naturel à deux ou trois barques de pêcheurs, reposant alors à sec sur le sable et loin de l’eau, car la marée était redescendue. Deux ou trois misérables huttes existaient près de ce petit port, habitées probablement par les propriétaires des barques, mais inférieures, sous tous les rapports, à l’habitation de mon hôte, quoique celle-ci fût d’assez petite apparence.

Je n’eus qu’une minute ou deux pour faire ces observations : encore, durant ce temps-là, mon compagnon montra-t-il des signes d’impatience et cria-t-il plus d’une fois : « Cristal, Cristal Nixon ! » jusqu’à ce que le vieillard du soir précédent parût à la porte d’une des cabanes voisines servant d’écurie, amenant le vigoureux cheval noir dont j’ai déjà fait mention, sellé et bridé. Mon conducteur fit un signe du doigt à Cristal, et, prenant par derrière la cabane, il monta le sentier rapide, ou plutôt le ravin qui faisait communiquer ce vallon retiré avec la pleine campagne.

Si j’avais bien connu la nature du chemin que j’avais parcouru la veille au soir avec tant d’impétuosité, je doute fort que j’eusse voulu m’y aventurer ; car cette route ne méritait pas d’autre nom que celui de lit d’un torrent, alors presque rempli d’eau, qui se précipitait écumant et furieux vers le fond de la vallée, grossi qu’il était par les pluies de la nuit dernière. Je montai ce dangereux sentier avec quelque peine, quoique à pied, et la tête me tourna quand je remarquai, à des traces que la pluie n’avait pas effacées, que le cheval semblait presque l’avoir descendu en glissant sur le ventre, le soir précédent.

Mon hôte sauta sur son cheval sans mettre le pied sur l’étrier — et me dépassa dans cette périlleuse montée qui ne l’empêchait pas de stimuler son coursier de l’éperon, comme si l’animal avait eu les pattes d’un chat sauvage. L’eau et la boue jaillissaient de ses sabots dans sa course rapide, et deux ou trois bonds le conduisirent au sommet de la hauteur où j’arrivai bientôt moi-même