Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/63

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suis davantage, et vous figurer avec quelle ardeur je souhaite que vous reveniez habiter avec nous.




Je reprends la plume, après un intervalle de quelques heures, pour vous dire qu’il m’est arrivé un incident sur lequel vous bâtirez à coup sûr cent châteaux en Espagne, puisque moi-même, si peu amateur que je sois de ces édifices sans fondements, je dois avouer qu’il donne lieu à de singulières conjectures.

Depuis quelque temps mon père me prend avec lui lorsqu’il se rend aux tribunaux, dans son désir de me voir convenablement initié aux formes pratiques des affaires. Je confesse que, pour lui comme pour moi, je ne suis guère flatté de cette inquiétude outrée qui nous rend, je l’ose dire, l’un et l’autre ridicules. Mais de quoi sert ma répugnance ? Mon père m’entraîne chez son avocat, savant jurisconsulte : — « Êtes-vous prêt à plaider aujourd’hui, M. Crossbite ? Voilà mon fils qui se destine au barreau ; — je prends la liberté de l’amener aujourd’hui à la consultation, simplement pour qu’il puisse voir comment se pratiquent les affaires. »

M. Crossbite sourit et s’incline, comme tout avocat sourit au procureur qui l’emploie ; même, j’ose l’affirmer, il pousse sa langue contre sa joue, et souffle à l’oreille de la première grande perruque qui passe auprès de lui : « Où diable le vieux Fairford en veut-il venir en lâchant son louveteau sur moi ? »

Tandis que je me tenais derrière eux, beaucoup trop vexé du rôle puéril que j’avais à jouer pour tirer grand profit de la savante discussion de M. Crossbite, je remarquai un homme déjà mûr, qui, debout et les yeux fixés sur mon père, semblait n’attendre que la fin de l’affaire pour s’adresser à lui. Il y avait quelque chose dans l’extérieur de cet individu qui commandait l’attention ; — pourtant ses vêtements n’étaient pas taillés dans le goût actuel, et, quoique jadis magnifiques, ils étaient maintenant surannés et hors de mode. Son habit était de velours à ramage doublé de satin : sa veste, de soie violette et couverte de broderie ; sa culotte, de même étoffe que l’habit. Il portait des souliers très-couverts, à bouts carrés ; et les bas de soie étaient roulés au-dessus de ses genoux, ainsi que vous pouvez l’avoir vu dans des peintures, et de temps à autre sur quelques-uns de ces originaux qui semblent se piquer de suivre les modes du temps de Mathusalem.