Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/60

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c’est vous, le meilleur de mes amis, qui réussissez le mieux à bâtir des histoires avec rien. Si vous plantiez la fève, dans ce fameux conte de nourrice, vous parviendriez à faire que, dès l’instant où elle commencerait à germer, le château du géant fût prêt à élever ses fortifications sur le haut de la tige. Tout ce qui vous arrive prend dans votre riche imagination une teinte de merveilleux et de sublime. Avez-vous jamais vu ce que les artistes appellent un verre à la Claude-Lorrain, verre qui répand sa propre couleur sur tout le paysage que vous regardez au travers ? — Vous considérez les événements ordinaires précisément au travers d’un semblable milieu.

J’ai soigneusement examiné les faits contenus dans votre longue et dernière lettre, et je n’y ai rien trouvé qui n’aurait pu survenir au premier écolier d’High-School qui, s’avançant trop sur les sables de Leith et dépassant le prawndub[1], aurait mouillé ses bas et sa culotte, et qui enfin eût été tiré de là par quelque femme de pêcheur en jupons courts, et qui l’eût emmené chez elle, par compassion, tout en grognant, le long de la route, de la peine que lui occasionnait le gamin.

J’admire la figure que vous deviez faire, craignant pour votre chère vie, derrière le dos de votre pieux conducteur, — vos dents claquant de frayeur, vos muscles se raidissant d’épouvante. Votre exécrable souper de saumon brûlé, qui suffirait pour vous assurer les régulières visites du cauchemar durant une année, peut être appelé une véritable affliction ; quant à la tempête de jeudi dernier (telle est la date de votre lettre), elle rugit, siffla, hurla et beugla aussi horriblement à travers les vieilles cheminées de Candlemaker-row[2], qu’elle a pu le faire sur la côte de la Solway, si grand vent qu’il y fasse, — teste me per totam noctem vigilante[3]. Et puis le matin encore (que le seigneur ait pitié de votre sentimentale délicatesse !) — vous dites adieu au brave homme, sans même lui offrir une demi-couronne pour son souper et son logement ! oh !

Vous vous moquez de moi parce que je donnai un penny (pour être exact vous auriez dû dire six pence) à un vieux bon homme que vous, dans votre élévation d’esprit, vous auriez laissé aller

  1. Dub, signifie en écossais une petite pièce d’eau ; et prawn est une crevette ; ainsi prawndub est un endroit où l’on prend des crevettes. a. m.
  2. Nom d’une rue du vieux quartier d’Édimbourg. a. m.
  3. Témoin qui veille toute la nuit. a. m.