Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/51

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vieille dame avait abandonné pour celui d’apprêter le poisson : il s’acquitta de cette besogne avec plus d’adresse que je n’en soupçonnais dans un individu d’un extérieur si grossier. Il plaça deux fauteuils au haut bout de la table, et deux escabelles au bas bout ; disposant chaque siège en face d’un couvert, devant lequel il mit un morceau de pain de seigle et un petit pot rempli d’ale, qu’il allait puiser dans une grande cruche noire. Trois de ces pots étaient de terre cuite ordinaire ; mais le quatrième, qu’il posa vis-à-vis le couvert de droite au haut bout, était d’argent et chargé d’armoiries. Au même bout de la table, il plaça une salière aussi d’argent, travaillée avec art, renfermant un sel d’une blancheur éblouissante, avec du poivre et d’autres épices. Un citron coupé par quartiers fut également servi sur un petit plat d’argent. Les deux grands chiens barbets, qui paraissaient comprendre parfaitement la nature de ces préparatifs, s’étaient établis des deux côtés de la table pour être prêts à recevoir leur part du repas. Je n’ai jamais vu d’animaux plus beaux, et qui semblassent plus dominés par un sentiment de décorum, si ce n’est qu’ils se léchaient les lèvres quand le riche fumet de la grillade leur passait sous le nez. Les petits chiens s’étaient tapis sous la table.

Je n’ignore pas que je m’arrête sur des circonstances triviales et ordinaires, et que je risque de lasser votre patience en le faisant. Mais voyez-moi, seul dans ce lieu étrange, qui semblait, au silence général, être le vrai temple d’Harpocrate ; — rappelez-vous que c’est ma première excursion loin de la maison ; n’oubliez pas que la manière dont j’avais été amené en ce lieu avait un peu l’air d’une aventure, et qu’il existait une mystérieuse incohérence dans tout ce que j’avais vu jusqu’alors ; et vous ne serez plus surpris, je pense, que des circonstances futiles en elles-mêmes aient attiré mon attention dans le moment, et soient ensuite demeurées dans ma mémoire.

Qu’un chasseur de saumons, peut-être pour son amusement aussi bien que pour son profil, fut mieux monté et mieux logé que les paysans de la dernière classe, il n’y avait là rien d’étonnant ; mais il y avait quelque chose dans tout ce que je voyais, qui semblait dénoter que j’étais plutôt dans la retraite d’un gentilhomme ruiné, qui tenait aux formes et aux habitudes de son rang, que dans la maison d’un paysan ordinaire, élevé au-dessus de ses compagnons par une opulence comparative.

Outre les diverses pièces d’argenterie que j’avais remarquées,