Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/42

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Alan. L’accent de cette femme, quoique assez rude, résonne agréablement à mon oreille ; car je n’ai jamais pu oublier le triste effet produit sur mes jeunes organes, par votre lente et traînante prononciation du Nord, que j’entendais alors comme les sons d’une langue étrangère. J’avoue que j’ai moi-même, depuis ce temps, pris l’accent écossais en perfection, et même plusieurs écossismes. Mais l’accentuation anglaise arrive encore à mon oreille comme une voix amie ; et quand je l’entends dans la bouche d’un mendiant vagabond, elle manque rarement d’exciter ma charité. Vous, Écossais, qui êtes si fiers de votre propre nationalité, vous devez faire une juste concession à celle des autres.

Le matin suivant, j’allais me rendre sur le bord du ruisseau où j’avais pêché à la ligne le soir précédent, lorsque je fus retenu par une forte averse qui dura toute la matinée. Pendant ce temps-là, j’entendis mon vaurien de guide parler d’un ton aussi effronté, en débitant ses grosses plaisanteries dans la cuisine, que peut le faire un laquais dans la galerie à un schelling d’un théâtre ; — tant il est peu vrai que la modestie et l’innocence soient les compagnes inséparables d’une vie passée dans la solitude champêtre.

Quand, après dîner, le temps se fut éclairci, et que nous fûmes enfin parvenus au bord de la rivière, il me fallut endurer un nouveau tour de mon savant précepteur. Il aimait mieux apparemment pêcher lui-même que de s’ennuyer à instruire un novice maladroit comme moi ; et, dans l’espoir de lasser ma patience et de me faire céder la ligne, comme je l’avais fait la veille, mon drôle parvint à me laisser battre l’eau pendant une heure avec un hameçon sans pointe. Je découvris la ruse enfin, en voyant le drôle ricaner avec délices, lorsqu’il apercevait une large truite sortir de l’eau, et se dégager sans peine de l’hameçon. Je lui appliquai un bon soufflet, Alan ; mais je m’en repentis le moment d’après, et, en réparation, je lui cédai la possession de la ligne pour le reste de la soirée. Il tâcha de rapporter un plat de truites pour mon souper, en expiation de ses offenses.

Ainsi débarrassé d’un amusement dont je ne me souciais guère, je dirigeai mes pas vers la mer, ou plutôt vers le détroit de Solway, qui sépare ici les deux royaumes. J’en étais à peine éloigné d’un mille, et je suivais une agréable promenade sur les hauteurs