Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/399

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lez ; et je crois que mon oncles lui-même, puisqu’il est mon oncle, m’a rappelé cette circonstance dans une occasion récente. Je puis maintenant m’expliquer la retraite absolue où vivait ma pauvre mère, — ses larmes abondantes, — ses accès de frayeur subite, et sa mélancolie profonde et continuelle. Pauvre mère ! quel sort fut le sien et comme elle dut être inquiète lorsqu’elle vit approcher le terme de ses jours !

— Ce fut alors qu’elle prit toutes les précautions que la crainte put lui suggérer, pour dérober à l’homme qu’elle redoutait jusqu’à la connaissance même de votre existence. Bien plus, elle résolut de vous maintenir dans l’ignorance de votre propre destinée ; car elle craignait, comme elle l’avoua bien des fois, dit-on, que le sang des Redgauntlet, véritable feu liquide, ne vous poussât à unir votre fortune à celle de votre oncle, qui était bien connu pour mener encore des intrigues politiques que presque tout le monde regardait comme désespérées. D’ailleurs, le gouvernement montrait chaque année plus d’indulgence à l’égard des jacobites qui restaient, et alors il pourrait rentrer, par ce moyen, dans ses droits de tuteur légal. L’un ou l’autre de ces événements était, suivant elle, la route directe qui devait vous conduire à votre perte.

— Je m’étonne qu’elle n’ait pas réclamé pour moi la protection de la chancellerie[1], ou qu’elle ne m’ait pas confié aux soins d’un ami puissant.

— Elle était presque brouillée avec toute sa famille, à cause de son mariage avec notre père, et se flattait de mieux vous dérober par des mesures secrètes aux manœuvres de votre oncle, que par toute la protection que les lois lui offraient. Peut-être sa conduite ne fut-elle pas sage : elle était assez naturelle du moins, pour une femme que tant d’infortunes et de frayeurs avaient rendue irritable à l’excès. Samuel Griffiths, banquier célèbre, et un digne ecclésiastique aujourd’hui mort, furent, je pense, les seules personnes à qui elle confia l’exécution de ses dernières volontés ; et mon oncle croit qu’elle leur fit jurer à tous deux d’observer le plus profond secret sur votre naissance et vos prétentions, jusqu’à ce que vous eussiez atteint l’âge de votre majorité, et, en attendant, de vous élever dans l’ombre autant que possible.

— Et je ne doute pas que, grâce à mon changement de nom et de demeure, ils n’eussent parfaitement réussi, sans l’accident

  1. Le lord chancelier est le tuteur naturel des mineurs. a. m.