Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à son frère Hugues, en qui il mettait une confiance illimitée.

— Mais ma mère n’avait aucune raison de craindre l’exécution d’une pareille clause faite en faveur d’une personne proscrite.

— C’est la vérité ; mais notre oncle pouvait obtenir sa grâce, comme tant d’autres avaient obtenu la leur, et notre mère, qui le haïssait autant qu’elle le redoutait, vivait dans la crainte continuelle de le voir se faire amnistier. Ainsi, cet homme qu’elle regardait comme la cause première de la perte de son mari, serait venu, armé d’une autorité légale, lui arracher ses propres enfants. D’ailleurs, lors même que l’incapacité dont avait été frappé Hugues Redgauntlet subsisterait toujours, elle redoutait l’esprit aventureux de son beau-frère, et se persuadait qu’il essaierait tôt ou tard de s’assurer, par la force et la ruse, cette tutelle que la loi politique lui refusait. D’un autre côté, notre oncle, dont le naturel fier et farouche aurait pu, je pense, s’adoucir si on lui eût témoigné plus de confiance, se révolta contre la conduite méfiante et soupçonneuse que lady Darsie Redgauntlet tenait à son égard. Elle abusait, disait-il, des circonstances malheureuses où il se trouvait placé, pour le priver de son privilège naturel de protéger et d’élever les enfants que la nature et la loi, aussi bien que la volonté de leur père, avaient confiés à ses soins, et il jura solennellement de ne pas se soumettre à une pareille injustice. Ces menaces furent rapportées à lady Redgauntlet, et ne servirent qu’à augmenter des inquiétudes trop bien fondées. Un jour que vous et moi, enfants alors âgés de deux ou trois ans, nous jouions ensemble dans un verger enclos de murs, adjacent à la demeure de notre mère qui s’était établie momentanément dans le Devonshire, mon oncle escalada subitement la muraille avec plusieurs hommes, et moi je fus prise et emportée dans une barque qui les attendait. Cependant ma mère était accourue à votre secours, et comme elle vous retenait de toutes ses forces, mon oncle ne put, comme il me l’avoua depuis, s’emparer de votre personne. Pour y parvenir, il lui aurait fallu employer contre la veuve de son frère une violence indigne d’un homme, et il en était incapable. Comme les cris de ma mère commençaient à rassembler du monde, il se retira en lançant sur vous et sur elle un de ces terribles regards qui restent, dit-on, dans notre famille, comme un legs fatal de notre aïeul sir Albérick.

— J’ai un souvenir vague de l’espèce de lutte dont vous par-