Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/348

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il alluma un cigare aussi gros que le doigt, et se mit à fumer avec beaucoup d’activité.

Alan Fairford continua à le regarder d’un air mélancolique, partagé entre l’intérêt qu’il prenait à cet homme malheureux, et une inquiétude assez naturelle sur l’issue de son aventure.

Ewart, malgré la nature stupéfiante de son passe-temps, sembla deviner ce qui se passait dans l’esprit de son passager ; car, après qu’ils furent restés quelque temps occupés à s’observer l’un l’autre en silence, il jeta tout à coup son cigare sur le tillac, et dit au jeune homme : « Eh bien, alors, si vous en êtes fâché pour moi, j’en suis fâché pour vous. — Du diable si j’aurais donné la tête d’une épingle pour qui que ce fût, depuis deux ans que j’ai revu Jack Hadaway. Le gaillard était devenu aussi gras qu’une baleine de Norwége ; — il avait épousé une grande fille bâtie à la hollandaise, qui lui avait amené six enfants. Je crois qu’il ne me reconnut pas, et qu’il crut que je venais piller sa maison : néanmoins, je pris l’air humble et lui déclarai qui j’étais. Le pauvre Jack aurait voulu me donner alors un abri et des vêtements, et il se mit à me parler des moidores qu’il avait placés et qui étaient à ma disposition. Corbleu ! il changea de gamme quand je lui dis quelle vie j’avais menée, et il ne demanda plus qu’à me payer aussitôt pour se débarrasser de moi. Je n’ai jamais vu visage si terrifié. Je lui éclatai de rire en face ; je lui assurai que c’était une plaisanterie, et que les moidores étaient à lui pour le moment et à jamais ; puis je décampai. Je fis porter chez lui une caisse de thé et un baril d’eau-de-vie, — ce pauvre Jack ! Je crois que vous êtes la seconde personne depuis dix ans qui eussiez fait cadeau à Nanty Ewart d’une pipe de tabac.

— « Peut-être, monsieur, vivez-vous habituellement avec des gens qui ont trop intérêt à songer chaque jour à leur sûreté, pour s’occuper beaucoup des chagrins d’autrui.

— Et avec qui vous trouvez-vous d’habitude vous-même, s’il vous plaît ? » répliqua Nanty vivement. « Avec des conspirateurs qui ne peuvent atteindre un meilleur but que celui de se faire pendre ; avec des incendiaires qui battent le briquet sur de l’amadou mouillé. Vous ressusciterez les morts avant de soulever les montagnards ; — vous tirerez un grognement d’une truie crevée avant de recevoir aucun secours du pays de Galles ou de Chester. Vous croyez, parce que le pot bout, qu’il n’y a que votre écume qui puisse surnager : — je m’y connais mieux, par le dia-