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nuit, et puis alors vous débarquer à Skinburnees, vous et mes ballots, avec le reste de la cargaison.

— Et alors rencontrerai-je le laird pour qui j’ai une lettre ?

— Il en adviendra par la suite ce qu’il pourra : le vaisseau a sa marche tracée, — le contrebandier a son port marqué ; — mais il n’est pas aussi aisé de dire où l’on peut trouver le laird. Mais il sera à moins de vingt milles de nous, vers la côte ou dans les terres ; — et ce sera mon affaire de vous conduire vers lui. »

Fairford ne put réprimer un mouvement de frayeur qui fit frissonner tout son corps, quand il se rappela qu’il était si complètement au pouvoir d’un homme qui, de son propre aveu, avait été pirate, et qui était à présent, selon toutes les probabilités, aussi bien contrebandier que proscrit. Nanty devina la cause de ce frisson involontaire.

« Eh ! que diable gagnerais-je, dit-il, en écrasant un pauvre brin d’herbe comme vous ? — N’ai-je pas eu les cartes en main ? n’ai-je pas joué franc jeu ? — Sachez que Jenny la Sauteuse peut porter d’autres marchandises que des ballots. Mettez un S et un T devant Ewart, et voyez ce que cela fera[1]. — Me comprenez-vous maintenant ?

— En vérité, non ; j’ignore complètement ce à quoi vous faites allusion.

— Alors, par Jupiter ! vous êtes le drôle le plus fin ou le plus bouché que j’aie jamais rencontré ; — ou vous n’êtes pas l’homme pour qui je vous prenais, après tout. Je m’étonne que Summertrees ait pu pêcher un pareil gaillard le long des côtes. Voulez-vous me montrer sa lettre ? »

Fairford n’hésita pas à satisfaire son désir : d’ailleurs, il savait bien que toute résistance était impossible. Le capitaine de Jenny la Sauteuseregarda l’adresse avec beaucoup d’attention, tourna la lettre dans tous les sens, et examina chaque trait de la plume, comme s’il cherchait à bien apprécier un manuscrit chargé d’ornements ; puis il la rendit à Fairford sans ajouter un seul mot.

« Maintenant, suis-je l’homme pour qui vous me prenez ? dit le jeune avocat.

— Ma foi ! ce que j’ai à vous répondre, répliqua Nanty, c’est que la lettre est certainement ce qu’elle doit être ; mais quant à savoir ce que vous êtes ou n’êtes pas, c’est votre affaire plus que la mienne. » — Et battant le briquet avec le dos d’un couteau,

  1. Steward pour stuard, nom de famille déchue. a. m.