Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/224

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me promener dans le parc à la nuit et voir traire les vaches, tout comme elle proposerait un tel amusement à un enfant ; mais elle a soin de ne jamais tenir sa promesse, si toutefois la chose dépend d’elle.

Cependant j’observe que je me laisse aller à une espèce d’insensibilité et d’indifférence pour ma liberté, — à une insouciance sur ma situation, que je ne pourrais expliquer qu’en l’attribuant à l’état de ma faiblesse et à une grande perte de sang. J’ai vu dans les livres que des hommes, enfermés comme moi entre quatre murs, ont surpris le monde par leur adresse en parvenant à surmonter les plus formidables obstacles qui s’opposaient à leur évasion ; et quand j’ai entendu conter de semblables anecdotes, je me suis toujours dit qu’un homme, ne fût-il muni que d’un fragment de pierre ou d’un clou rouillé pour limer ses fers ou briser les serrures, lorsqu’il avait tout loisir désirable pour s’occuper de cette tâche, ne devait jamais rester en prison. Pourtant j’y reste, moi, et les jours se succèdent, sans que je fasse le moindre effort pour reconquérir ma liberté.

Néanmoins mon inactivité n’est point le résultat du désespoir, mais elle naît, en partie au moins, des sentiments d’une nature bien différente. Mon histoire, long-temps mystérieuse, semble être sur le point de recevoir quelque développement bizarre ; et une impression solennelle me dit que je dois attendre le cours des événements, et que lutter contre eux, c’est opposer ma faible résistance à la volonté du destin. Vous, mon Alan, vous traiterez de timidité cette résignation passive qui s’est emparée de moi comme une torpeur engourdissante ; mais si vous n’avez pas oublié les visions que j’ai eues pendant mes rêves, si vous songez seulement qu’il est probable que je sois dans le voisinage, et peut-être sous le même toit que M. V., vous reconnaîtrez que d’autres sentiments que la pusillanimité ont un peu contribué à me réconcilier avec mon destin.

J’avoue pourtant qu’il est indigne d’un homme de se soumettre à cette détention oppressive : mon cœur se révolte à cette idée, surtout quand je commence à raconter mes souffrances dans ce journal ; et je suis décidé, pour faire le premier pas vers ma délivrance, d’envoyer mes lettres à la poste.