Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/161

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conduite avait produit une impression défavorable ; j’entendais bourdonner de tous côtés : « il se donne de fameux airs ! — demi-monsieur ! » enfin l’épithète encore plus alarmante « espion, » et je fus vraiment charmé lorsque j’aperçus la figure de Sam, qui avalait déjà un verre de punch. Voyant que j’avais des moyens de retraite à ma disposition, je communiquai mon projet à Willie, qui probablement avait encore mieux entendu les murmures de la société que moi-même ; car il me répondit à voix basse : « Oui, oui, — décampez, — vous n’êtes resté que trop long-temps, — filez vite, — qu’ils ne voient pas que vous détalez. »

Je glissai une demi-guinée dans la main du vieillard, qui me dit : « Oh ! oh ! folie ! Je ne refuserai pas pourtant, car je suppose que vous en avez le moyen. — Allez-vous-en, et si quelqu’un vous arrête, appelez-moi. »

Suivant son conseil, je me promenai un instant au milieu de la salle, comme si je cherchais une danseuse ; puis je rejoignis Sam, à qui je ne fis pas sans peine lâcher son verre de punch, et nous quittâmes ensemble la cabane de manière à attirer l’attention le moins possible. Les chevaux étaient attachés sous un hangar voisin, et comme la lune était levée, comme j’étais enfin familier avec la route, toute difficile et toute compliquée qu’elle fût, nous arrivâmes bien tôt à Shepherds’Bush. La vieille hôtesse était restée à nous attendre, avec une espèce d’inquiétude, et, pour me l’expliquer, elle n’hésita point à me dire que bien des gens de sa maison et des bourgs voisins étaient allés à Brokenburn, qui n’en étaient pas revenus sains et saufs. « Willie le voyageur, ajouta-t-elle, était toutefois une sorte de protection. »

Là, la femme de Willie, qui fumait dans un coin de la cheminée, entonna l’éloge de son « cher, » ce fut ainsi qu’elle l’appela, et s’efforça d’éveiller de nouveau ma générosité, en me décrivant les dangers dont elle prétendait que la seule présence de son mari m’avait certainement délivré. Il fut néanmoins impossible de m’arracher aucun argent pour le moment, et j’allai me coucher à la hâte, la tête pleine de réflexions différentes.

J’ai depuis passé une couple de jours tantôt à Mont-Sharon, tantôt ici, tantôt lisant, et tantôt vous écrivant cette importante histoire, tantôt formant mille plans pour revoir l’aimable Lilias, et tantôt… un peu, je pense, par esprit de contradiction… pêchant en dépit des scrupules de Josué, — bien que, à vrai dire,