Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/152

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née, — un peu fréquemment pour le petit nombre d’années qui ont passé sur ma tête. Mais sérieusement, la belle chapelaine de Brokenburn s’est présentée à mon esprit bien des fois qu’elle n’y avait que faire, et si vous voyez dans cet aveu un moyen d’expliquer les motifs qui me portaient à rester dans ce pays et à jouer le rôle de compagnon ménétrier, en bien, par le ciel ! libre à vous d’en faire votre profit ; — permission dont vous n’avez pas besoin de me remercier, attendu que vous n’auriez pas manqué de la prendre, que je vous l’eusse ou non accordée.

Tel étant l’état de mon cœur, imaginez mon ravissement lorsque je vis cette belle jeune fille entrer, comme un rayon de soleil qui perce un nuage, dans la chambre où l’on dansait, non avec l’air d’une égale, mais avec la dignité d’une femme de haut rang qui veut bien honorer de sa présence les amusements de ses vassaux. Le vieil homme et la vieille femme l’accompagnaient avec des visages aussi sinistres que le sien était gracieux ; c’était comme deux des plus vilains mois de l’hiver auprès de mai aux yeux brillants.

Lorsqu’elle entra — émerveillez-vous si vous voulez — elle portait une mante verte semblable, suivant la description que vous m’en avez faite, à celle que portait votre belle cliente : fait qui me confirma dans le soupçon que je nourrissais déjà, d’après le portrait par vous tracé, que ma chapelaine et votre visiteuse étaient une même personne. Son front se couvrit d’un nuage à l’instant où elle me reconnut. Elle donna son manteau à la vieille domestique, et après un moment d’hésitation, comme incertaine si elle devait avancer ou se retirer, elle traversa la pièce avec grâce et dignité ; tout le monde lui faisait place, les hommes ôtaient leurs bonnets et les femmes lui tiraient des révérences ; elle fut s’asseoir sur une chaise qu’on avait respectueusement placée pour elle, à l’écart des autres.

Il y eut alors une pause dont profita l’active maîtresse des cérémonies pour offrir, avec une courtoisie un peu gauche mais venant du cœur, un verre de vin à la jeune demoiselle, qui le refusa d’abord, mais qui l’accepta ensuite, afin sans doute d’avoir l’occasion de saluer la joyeuse compagnie à la ronde, et de souhaiter à tous santé et joie ; puis, après avoir touché du bout des lèvres le bord du verre, elle le replaça sur l’assiette. Il y eut une nouvelle pause ; et je ne me rappelai pas sur-le-champ, troublé que j’étais par cette apparition inattendue, que c’était à moi d’y