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drôle voudrait pêcher dans ma bourse quelques autres six pence. Mais c’eût été, aux yeux de Josué, la parabole de la truie bien lavée qui recommence à se vautrer dans la boue, et je résolus, tant que je fus son hôte, de ne pas heurter si violemment ses préjugés. Un point important eût été d’abréger le temps du séjour que je me proposais de faire chez lui ; mais, hélas ! je sentais que c’était également impossible. J’avais promis de rester une semaine ; et quoique cette promesse me fut échappée étourdiment, elle devait être tenue pour sacrée et même remplie à la lettre ; car les Amis ne souffrent pas qu’on s’en écarte.

Toutes ces considérations excitèrent en moi une espèce d’impatience hier matin, de sorte que je saisis mon chapeau et me préparai à faire une excursion au-delà des beaux jardins et de la ferme bien cultivée de Mont-Sharon, tout comme si je souhaitais m’échapper des domaines de l’art pour me précipiter dans ceux d’une nature libre et sans contrainte.

Je ne sais si j’avais été plus enchanté lorsque j’entrai pour la première fois dans cette paisible propriété, que je le fus (telle est l’instabilité et l’inconstance de l’humaine nature) lorsque j’en sortais pour parcourir les dunes immenses qui m’avaient semblé précédemment si désertes et si tristes. L’air que je respirais me paraissait plus pur et plus fortifiant. Les nuages couraient vite, chassés par une brise d’été, et passaient gaiement à la suite l’un de l’autre sur ma tête, tantôt obscurcissant le soleil, tantôt lui permettant de darder des rayons passagers de lumière sur les différentes parties du paysage, et principalement sur le large miroir du golfe lointain de la Solway.

Je m’avançais au milieu de cette scène avec le pas léger d’un captif redevenu libre ; et comme le Pèlerin de John Bunyan, j’aurais pu chanter les inspirations de mon cœur à mesure que je marchais. Il me semblait que ma gaieté s’était accumulée pendant que je n’avais pu lui donner un libre cours, et que j’avais bien droit, dans mon humeur joyeuse du moment, de dépenser les épargnes de cette précieuse semaine. Mais à l’instant même où j’allais entonner un joyeux couplet, j’entendis, avec ravissement et surprise, les voix de trois ou quatre personnes chanter avec beaucoup de succès ce vieux et gai refrain :


Tous nos hommes étaient joyeux,
Tous nos hommes buvaient au mieux :