Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/103

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— Le diable emporte le chapeau ! » répondis-je en courant néanmoins le chercher. Je le pris et je ressortis aussitôt. Mais lorsque j’eus regagné pour la seconde fois le coin de la rue, j’eus assez de bon sens pour voir que toute poursuite serait alors inutile. D’ailleurs, j’aperçus mon ami le garçon teinturier en grande conversation avec un personnage aux mains vertes qui appartenait à la même profession, et je demeurai convaincu, comme Scrub, qu’ils parlaient de moi, parce qu’ils riaient à gorge déployée. Je n’avais pas envie, en les accostant une seconde fois, de confirmer le bruit que l’avocat Fairford était « devenu fou, » nouvelle qui déjà s’était probablement répandue depuis Campbell’s-Close-Foot jusqu’à Meal-Market-Stairs : aussi retournai-je me cacher dans mon trou.

Ma première occupation fut de faire disparaître toutes les traces de la manière élégante et bizarre dont j’avais disposé mas effets, dans l’espérance d’en retirer tant de fruits ; car j’étais alors honteux et chagrin de n’avoir pas songé un seul instant à me préparer mieux pour recevoir une visite qui avait commencé si agréablement, mais fini d’une façon si peu satisfaisante. Je remis mes in-folio à leur place ; — je jetai mes fleurets dans mon cabinet de toilette, — ne cessant pas une minute de me tourmenter d’un doute inutile pour savoir si j’avais manqué une occasion ou échappé à un stratagème, et si la jeune personne avait été réellement décontenancée, comme elle semblait le donner à entendre, par l’extrême jeunesse de l’homme de loi qu’elle avait voulu consulter. Le miroir fut assez naturellement appelé à mon aide ; et ce conseiller de cabinet prononça que si j’étais petit, épais de taille, et ayant un genre de physionomie plus convenable, comme j’aime à le croire, pour le barreau que pour les bals, — pas assez beau pour que de jeunes filles au teint de rose mourussent d’amour pour moi, ou même pour qu’elles inventassent de faux prétextes pour s’introduire dans ma chambre, je n’étais pourtant pas assez laid non plus pour mettre en fuite ceux que des affaires réelles attiraient chez-moi. — Je suis brun, j’en conviens, mais — nigri sunt hyacinthi[1] : — et il y a de jolies choses à dire en faveur des teints bruns.

Enfin, — comme le sens commun prend toujours le dessus, quand un homme veut seulement lui faire beau jeu, — je com-

  1. Les hyacinthes sont noires. a. m.