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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE

Comme j’ai quelque idée que tout cela est trop bien écrit pour être compris, je m’abaisserai jusqu’au style ordinaire, et je déclare, avec toute la modestie convenable, que je me crois capable d’entreprendre un ouvrage périodique en forme de mélanges, aussi semblable au Spectateur, au Gardien[1], au Miroir, ou au Flâneur[2], que mes talents me rendent capable de le faire. Non que j’aie dessein d’imiter Johnson, dont je ne nie pas les connaissances générales et la diction énergique ; mais la plupart de ses Rôdeurs[3] ne sont autre chose que des espèces de parades, où des maximes vulgaires et usées sont burlesquement amplifiées dans un langage pompeux et mystique, qu’on admire parce qu’il n’est pas facile à comprendre. Il y a certaines pages de ce grand moraliste que je ne puis jamais lire sans penser à une mascarade de second ordre, où les gens les plus communs et les moins estimés de la ville se promènent majestueusement en costume de héros, de sultans, etc. : grâce à leurs oripeaux et à leur clinquant, ils obtiennent quelque considération jusqu’à ce qu’ils aient été reconnus. Mais il n’est pas prudent de commencer par jeter des pierres, au moment où je vais mettre des vitres à mes propres fenêtres.

Je crois de plus, que la situation locale de Little-Croftangry peut être regardée comme favorable à mon entreprise. Il serait difficile d’imaginer un plus noble contraste que celui qu’offrent, d’un côté, cette vaste cité, noircie par la fumée des siècles, et retentissant des sons variés de l’industrie active et des plaisirs bruyants de l’oisiveté ; de l’autre, la montagne escarpée, silencieuse et solitaire comme le tombeau. La première, c’est le fleuve de la vie, dont les flots se pressent et se précipitent avec la force d’une cataracte ; l’autre, c’est le ruisselet coulant, sans bruit et presque inaperçu, au pied de la statue du saint anachorète[4] qui vécut lui-même dans la retraite et l’oubli. La cité ressemble à un temple vaste et bruyant, où les Comus et les Mammon du jour tiennent leur cour, et où la foule vient sacrifier devant leurs idoles le repos, l’indépendance et la vertu même. La montagne solitaire et voilée par les brouillards est le trône du génie majestueux et terrible de la féodalité, génie qui distribuait des domaines et

  1. D’Addisson. a. m.
  2. De Mackensie. a. m.
  3. The Rambler (le Rôdeur) de Johnson. a. m.
  4. La fontaine de Saint Anthony, ou Saint-Antoine, est une petite source près du palais d’Holy-Rood. a. m.