Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

de sa langue maternelle, et d’un garçon vigoureux et adroit pour servir à table et prendre soin d’un petit cheval que je monte pour me promener sur les sables de Porto-Bello[1], surtout lorsque la cavalerie y vient manœuvrer ; car, comme un vieux fou que je suis, j’aime encore le bruit d’une marche de cavalerie et l’éclat des armes, spectacle que j’ai vu souvent dans ma jeunesse, bien que jamais je n’aie servi. Pour les matinées pluvieuses, j’ai mes livres. Lorsque le temps est beau, je fais des visites, ou je vais errer sur les rochers, selon ma fantaisie. À dîner je suis un peu solitaire, il est vrai, mais pas tout à fait pourtant : car, tandis qu’André me sert à table, Janet, ou comme chacun l’appelle, à l’exception de son maître et de quelques vieilles commères, mistress Mac Evoy, reste dans la salle à manger pour surveiller tout et me raconter, Dieu nous bénisse ! toutes les nouvelles merveilleuses qui ont couru le palais pendant la journée. Quand la nappe est ôtée, que j’allume mon cigare, et que je commence à attaquer une bouteille de vieux Porto ou un verre de whisky coupé avec de l’eau, c’est la règle de la maison que Janet place une chaise à quelque distance, et là elle fait un somme où elle tricote, selon qu’elle y est disposée, toujours prête à parler, si je suis en humeur de l’écouter, et silencieuse comme une souris, si elle me voit disposé à la lecture de quelque journal. À six heures précises, elle prépare mon thé et s’éloigne pour me le laisser prendre. Alors vient l’intervalle de la journée que les vieux garçons trouvent ordinairement le plus long et le plus ennuyeux. Le théâtre est bien une excellente ressource ; mais il est fort éloigné, ainsi qu’un club ou deux dont je fais partie. D’ailleurs ces excursions du soir sont tout à fait incompatibles avec ces idées de mollesse et de repos qui naissent si naturellement dans ce bon fauteuil à bras, et qui font désirer quelque occupation propre à distraire l’esprit sans fatiguer le corps.

C’est sous l’influence de ces impressions que j’ai parfois songé à l’entreprise littéraire dont ces lignes font partie. Il faudrait que je fusse un véritable bonassus[2] pour me regarder moi-même comme un génie. Cependant j’ai autant de loisir et de faculté de réfléchir que mes voisins. Je suis placé entre deux générations, et je puis, mieux que d’autres peut-être, faire ressortir ces traces

  1. Petit bourg à une lieue d’Édimbourg, sur le bord de l’Océan, et où l’on va prendre les eaux de mer. a. m.
  2. Espèce de buffle ou bœuf sauvage, le plus grand des quadrupèdes, après l’éléphant et le rhinocéros. a. m.