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INTRODUCTION




Tous ceux qui connaissent l’histoire des premiers temps du théâtre italien savent qu’Arlequin, dans la conception originale, ne se borne pas, comme sur notre théâtre, à faire des miracles avec son sabre de bois, à entrer et à sortir par la fenêtre ; mais on trouve en lui, ainsi que l’indique sa veste bigarrée, un bouffon ou un clown dont la bouche, loin d’être éternellement fermée, laisse échapper, comme celle de notre Touchstone[1], une foule de quolibets, de railleries piquantes et de saillies ingénieuses, la plupart improvisées. Il n’est pas facile de deviner pourquoi on lui donna son masque noir, qui représentait anciennement la figure d’un chat ; mais il paraît que le masque était essentiel à ce rôle, comme le prouvera l’anecdote suivante.

Un acteur du Théâtre Italien, établi à la Foire Saint-Germain, à Paris, était renommé pour la vivacité et la hardiesse de son esprit, les saillies brillantes et les reparties heureuses dont il assaisonnait à pleines mains son rôle de bouffon. Quelques critiques, qui avaient moins de jugement que de bienveillance pour un acteur favori, s’imaginèrent de lui adresser certaines remontrances au sujet de son masque bizarre. Ils se dirigèrent adroitement vers leur but en lui faisant observer que ce déguisement insignifiant jetait une teinte burlesque et ridicule sur son esprit cultivé et vraiment attique, sur l’originalité de ses saillies, et sur son heureuse facilité pour le dialogue : certes, de pareils talents produiraient bien plus d’effets s’ils étaient secondés par la vivacité de son regard et l’expression naturelle de ses traits. La vanité de l’acteur une fois mise en jeu, il se décida facilement à tenter l’expérience. Il joua Arlequin à visage découvert, et tout le monde fut d’avis qu’il avait complètement échoué. Il avait perdu la hardiesse que lui donnait le sentiment de l’incognito, et, avec elle cette imperturbable gaieté qui donnait tant de vivacité à son jeu. Il maudit ses conseillers et reprit son masque grotesque ; mais jamais, ajoute-t-on, il ne put retrouver l’insouciante et heureuse légèreté qu’il avait puisée d’abord dans la conscience de son déguisement.

  1. Mot qui veut dire pierre de touche ; personnage d’une comédie de Shakspeare, intitulée : As you like it. Comme il vous plaira. a. m.