Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

foi protestante. Je lui assurai donc que mon intention, si je pouvais trouver une habitation convenable dans le quartier qu’elle habitait, était de m’y fixer.

Janet fit trois sauts sur le plancher et poussa trois exclamations de joie ; mais le doute revint presque aussitôt à son esprit, et elle insista pour savoir quelle raison je pouvais avoir pour fixer ma demeure dans un lieu que très-peu de gens choisissaient, à l’exception de ceux que l’infortune obligeait à y venir. Il me vint à l’esprit de lui répondre en lui racontant la légende relative à l’origine de ma famille, d’après laquelle nous tirions notre nom d’un endroit voisin du palais d’Holy-Rood. Cette raison, qui aurait paru on ne peut plus absurde à bien des gens, sembla tout à fait satisfaisante à Janet Mac Evoy,

« Oh ! sans doute ; si c’était un bien de famille de Son Honneur, il n’y a plus rien à dire. Il est seulement singulier que ce bien de famille fût situé justement à l’extrémité de la ville, et qu’il y ait maintenant des maisons là où les vaches du roi avaient coutume de paître. Dieu les bénisse ! ajouta-t-elle, cuir et cornes ! c’est un étrange changement ! » Puis, réfléchissant un instant, elle ajouta : « Mais ce changement, au surplus n’a pas été funeste à Croftangry, puisque d’un champ solitaire il est devenu un quartier populeux, ce qu’on peut dire de bien des endroits : car Janet connaît une vallée où il y avait des hommes aussi bien qu’il peut y en avoir à Croftangry ; et s’ils n’étaient pas aussi nombreux, ils valaient autant sous leurs tartans que les autres sous leurs habits de drap. Et là aussi se trouvaient des maisons, et si elles n’étaient pas construites de pierres et de chaux, et aussi hautes que les maisons de Croftangry, elles ne rendaient pas moins de services à ceux qui y vivaient. Et l’on voyait un grand nombre d’hommes avec de belles toques, et beaucoup de femmes avec des noods en soie et de beaux fichus blancs sortir de ces maisons pour aller à l’église ou à la chapelle le jour du Seigneur ; et des enfants couraient tout au tour. Mais à présent, hélas ! ô hellani ! honari[1] la vallée est désolée, et les toques et les beaux bonnets, tout a disparu ; et la maison du Saxon s’élève là, triste et solitaire, comme le rocher aride et escarpé que l’aigle choisit pour construire son nid, l’aigle farouche qui chasse de la vallée le coq de bruyère. »

Janet, comme la plupart des montagnards, était pleine d’imagination, et lorsque un sujet mélancolique se présentait à son es-

  1. Mots celtiques signifiants Ayez pitié de nous. a. m. !