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CHAPITRE V.

que je changeai entièrement de plan de vie. Dès lors je commençai à trouver que la campagne ne me convenait nullement, que je n’avais plus le goût de la chasse, et que je n’avais aucun penchant pour l’agriculture, vocation ordinaire des gentillâtres campagnards ; que je ne possédais aucun des talents nécessaires pour être utile à l’un ou à l’autre des candidats qui pourraient se présenter dans l’élection prochaine ; je ne voyais rien d’agréable dans les fonctions d’un administrateur des routes, d’un percepteur d’impôts, même d’un magistrat. J’avais commencé à prendre quelque goût pour la lecture, et fixer mon séjour à la campagne était le moyen d’éloigner de moi les ressources dont j’avais besoin sous ce rapport ; car je ne pourrais avoir d’autre bibliothèque à mon service, dans ce pays, que le petit cabinet de lecture, où, comme dans tous les établissements de ce genre, vous êtes toujours sûr que l’ouvrage dont vous avez besoin est entre les mains d’un autre.

Je me déterminai donc à fixer ma résidence dans la métropole de l’Écosse, me réservant de faire de temps à autre une de ces excursions qui, en dépit de tout ce que j’ai dit sur les diligences, sont devenues si faciles, grâce au bon M. Piper. S’occupant de notre sûreté comme de nos loisirs, la vélocité de ses voitures nous préserve de la perte du temps, et leur solidité, la vigueur de ses chevaux et l’expérience de ses conducteurs préservent nos membres de tout accident. Il nous transporte, ainsi que nos lettres, d’Édimbourg au cap Wrath en aussi peu de temps qu’il en faut pour écrire une ligne.

Quand il me fut bien entré dans l’esprit d’établir mon quartier général à Auld Reekie[1], me réservant le privilége d’explorer tous les environs, je me mis à chercher avec soin une habitation convenable. Et où pensez-vous que j’allai pour cela ? comme dit sir Pertinax[2] dans la comédie anglaise, ce ne fut ni à George’s Square, ni dans la vieille New-Town, ni dans la nouvelle, ni à Calton Hill ; j’allai droit à la Canongate, et juste dans le même quartier où autrefois j’avais été claquemuré comme un chevalier errant prisonnier dans quelque château enchanté : par l’effet des maléfices, l’air qui l’environne est devenu tellement impénétrable, qu’il ne peut sortir d’un cercle étroit ; et pourtant, aux yeux de l’infortuné captif, il ne se présente aucun obstacle à sa fuite.

  1. On se rappelle qu’Auld Reekie (la vieille enfumée) est une manière de désigner la ville d’Édimbourg. a. m.
  2. Personnage d’une comédie de Macklin, intitulée l’Homme du monde.