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CHAPITRE II.

saient graduellement, et devenaient assez profondes pour que chacune d’elles eût son ruisseau. Là, le courant de chaque source était bordé tantôt par des bancs de terre escarpés, tantôt par des roches nues, dont le sommet romantique s’élevait couronné de chênes, de frênes et de coudriers. Et tous ces frais tableaux flattaient d’autant mieux le regard, que, d’après l’aridité naturelle de tout le pays environnant, leur aspect était totalement imprévu.

Je me souvenais encore de ces belles et fertiles prairies qui s’étendaient, le long de la Clyde, entre les hauteurs bien boisées et son courant impétueux. Les eaux de la rivière, empruntant la couleur de l’ambre le plus pur, ou plutôt réfléchissant celle des rochers[1], se précipitent sur des brisants et des lits de sable, et inspirent une sorte de terreur, à cause des gués trompeurs qu’elles présentent, et du nombre fréquent des accidents funestes qui y arrivaient. (Le nombre de ces accidents est heureusement diminué depuis la construction de plusieurs nouveaux ponts.) Quant aux prairies formées de terre d’alluvion, elles étaient bordées, pour la plupart, de triples et de quadruples rangées d’arbres immenses, qui, formant une gracieuse ceinture, plongeaient leurs longs rameaux verts dans le torrent blanchi par l’écume. Ma mémoire retrouvait peu à peu le souvenir de bien d’autres lieux, que le vieux chasseur désignait comme le repaire de terribles chats sauvages, comme l’endroit où, selon la tradition, le noble cerf avait été mis aux abois, comme le théâtre enfin où tel héros, maintenant oublié, avait été tué, soit par surprise, soit dans un combat.

Il ne faut pas supposer que ces paysages devinssent visibles aux yeux de mon imagination, comme une décoration de théâtre, qu’on découvre subitement au lever du rideau. J’ai déjà dit que, pendant le temps de mes folies et de ma dissipation, je n’avais jamais regardé les campagnes qui m’environnaient qu’avec les yeux du corps, et non avec ceux de l’esprit. Ce ne fut donc que fragment par fragment, comme un enfant apprend sa leçon, que je commençai à me rappeler les beautés de cette nature, qui m’avaient jadis entouré dans le domaine de mes pères. Il faut qu’un goût naturel pour ces beautés fût resté secrètement caché au fond de mon cœur pour qu’il s’éveillât ainsi lorsque je fus exilé

  1. Ces rochers sont appelés dans le pays Cairngorm. a. m.