Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/370

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alerte comme un actif surveillant, s’empressait d’un regard, d’un signe, d’un mot prononcé tout bas, de rappeler tous les esprits à la lecture. Miss Katie déployait-elle une pareille activité seulement pour maintenir la discipline littéraire de sa coterie, ou s’intéressait-elle réellement aux beautés de l’ouvrage qu’elle désirait faire goûter aux autres ? C’est ce que je ne me permettrai pas de lui demander, de peur de me laisser entraîner à aimer cette jeune fille, qui est véritablement jolie, plus que la prudence ne me le permet, dans mon intérêt comme dans le sien.

Je dois l’avouer, le plaisir qu’on prenait à écouter mon histoire ne paraissait pas toujours bien vif : peut-être aussi lisais-je mal ; car tandis que je n’aurais dû songer qu’à donner aux expressions la force qu’elles avaient réellement, j’éprouvais la conviction glaciale qu’elles auraient pu et dû être beaucoup meilleures. Pourtant nous nous échauffâmes enfin quand nous abordâmes aux Indes orientales, quoique à propos des tigres dont il était parlé, une vieille dame à qui la langue démangeait depuis une heure, s’écriât : « Je suis curieuse de savoir si M. Croftangry a jamais entendu l’histoire de tigre Tullideph, » et eût presque voulu insérer le récit tout entier, en forme d’épisode de mon histoire. Elle se laissa pourtant mettre à la raison, et la mention des châles, des diamants, des turbans et des ceintures, qui fut faite ensuite, produisit l’effet habituel sur l’imagination des belles qui composaient l’auditoire. Le genre de mort si horriblement nouveau de l’amant infidèle eut, comme je m’y attendais, la bonne fortune d’exciter cette expression de pénible intérêt qui est produit par le bruit de la respiration à travers les lèvres serrées : et même une miss de quatorze ans poussa un grand cri. »

Enfin, ma tâche fut achevée, et les belles qui avaient daigné m’entendre m’ensevelirent sous un nuage d’encens, comme au carnaval on accable les élégants sous une pluie de dragées et d’eau de senteur. C’était « charmant ! — quel doux intérêt ! — ô monsieur Croftangry ! — quelle délicieuse soirée ! — combien nous vous sommes obligées ! » et enfin, « ô miss Katie, comment aviez-vous pu garder un tel secret si long-temps ? » Tandis que les chères âmes m’étoudaient ainsi sous les feuilles de rose, l’impitoyable vieille dame leur imposa à toutes silence par une discussion sur les châles, laquelle discussion, elle eut l’assurance de me le dire, était nécessairement amenée par mon histoire… Miss Katie s’efforça en vain d’arrêter le torrent de son éloquence ; elle mit tout