Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville reçurent ce torrent vivant qui s’y précipita ; les nuages de fumée et de poussière furent bientôt dispersés, et l’horizon fut rendu au silence et à la sérénité.

Une entrevue entre personnages d’importance, et surtout de sang royal, est une affaire de très-grande conséquence dans l’Inde, et généralement on déploie beaucoup d’adresse pour attirer la personne qui reçoit la visite aussi loin que possible à la rencontre de celle qui la fait. Se lever simplement et aller au bout du tapis, ou bien s’avancer à la porte du palais, à celle de la ville, ou enfin à un mille ou deux sur la route, tout est un sujet de négociation. Mais l’impatience que ressentait Tippoo de posséder la belle Européenne le fit condescendre, en cette occasion, à un bien plus grand degré de politesse que n’osait s’y attendre la bégum : il désigna son jardin, adjacent aux murailles de la ville et renfermé dans l’enceinte des fortifications, pour lieu de leur entrevue. L’heure devait être celle de midi, le lendemain du jour de son arrivée ; car les naturels du pays sortent rarement le matin ou avant d’avoir déjeuné. Ces dispositions furent annoncées par le prince lui-même à l’envoyé de la bégum, lorsque celui-ci vint présenter à genoux le nuzzur, tribut consistant en trois, cinq ou sept moidores, toujours en nombre impair, et reçut en échange un khleaunt, ou vêtement d’honneur. L’envoyé fit de grands frais d’éloquence pour décrire l’importance de sa maîtresse, son dévouement et sa vénération envers le prince, et le plaisir que lui avait procuré d’avance la perspective de leur motakul ou entrevue ; il termina par quelques phrases plus modestes sur ses propres talents et sur la confiance que la bégum avait en lui. Il partit alors, et des ordres furent donnés afin que tout fût prêt le lendemain pour le sowarree, ou grand cortège ; quand le prince irait recevoir la bégum, en qualité d’hôtesse très-honorable, dans les jardins de sa maison de plaisance.

Long-temps avant l’heure indiquée, un rassemblement de fakirs, de mendiants et d’oisifs, devant la porte du palais, annonçait combien grande était l’attente de cette espèce de gens qui suit ordinairement les cortèges ; tandis qu’une foule de mendiants plus importune encore, les courtisans, se réunissaient vers le même endroit, montés sur des chevaux, ou sur des éléphants, selon qu’ils en avaient le moyen, toujours empressés à montrer leur zèle, et proportionnant toujours leur empressement à leuis espérances ou à leurs craintes.