Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/355

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« Quand le pèlerin Barak, dit celui-ci, demeurait à Madras, il avait des yeux et une langue ; mais à présent il est guidé par ceux de son père, le saint Seheik-Hali-Ben-Khaledoun, supérieur de son couvent. »

L’extrême humilité du fakir parut à Hartley inconciliable avec l’aflectation que Barak avait mise à parler de son grand crédit, lorsqu’il demeurait à la Présidence ; mais l’exagération de leur propre importance est un faible commun à tous les hommes qui se trouvent en pays étranger. S’adressant donc au plus vieux fakir, il lui conta aussi brièvement que possible l’infâme complot qui était tramé pour livrer Menie Grey entre les mains du prince Tippoo. Il conjura le saint personnage, dans les termes les plus persuasifs, d’intercéder en sa faveur auprès du prince lui-même et du nabab son père. Le fakir l’écouta avec un air impassible, qui ressemblait assez à la manière dont un saint de bois regarde ceux qui lui adressent des prières. Il y eut un nouvel intervalle de silence dont profita Hartley pour recommencer ce qu’il avait déjà dit ; mais ne trouvant plus rien à dire, il fut forcé de se taire.

Le silence fut rompu par le vieux fakir qui, après avoir lancé un regard à son jeune compagnon, du coin de l’œil, sans changer, le moins du monde, la position de sa tête ou de son corps, dit : « Le mécréant a parlé comme un poëte. Mais pense-t-il que le nabab Khan-Hyder-Ali-Behauder contestera à son fils Tippoo le Victorieux la possession d’une esclave infidèle ? »

Hartley reçut en même temps un coup d’œil que Barak lui lança de côté, comme pour l’encourager à plaider sa cause. Il laissa s’écouler une minute, puis répliqua :

« Le nabab tient la place du Prophète, il juge le grand aussi bien que le petit. Il est écrit que quand le Prophète décida la contestation entre les deux moineaux au sujet d’un grain de riz, son épouse Fatime lui dit : « L’envoyé d’Allah fait-il bien d’employer son temps à rendre la justice dans des affaires si futiles, et à des êtres si méprisables ? — Apprends, femme, répondit le Prophète, que les moineaux et le grain de riz sont la création d’Allah. Ils ne valent pas plus que tu n’as dit ; mais la justice est un trésor d’une valeur inestimable, et elle doit être rendue par celui qui possède le pouvoir à tous ceux qui la lui demandent. Le prince exécute la volonté d’Allah, qui est juste dans les petites affaires aussi bien que dans les grandes, et envers le pauvre aussi bien qu’envers le riche. Pour l’oiseau qui a faim, un grain de riz vaut