Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/349

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chands voyageurs, soit à quelque exploit du même genre, et réfléchissant peut-être qu’un tigre, dans les jungles voisines, attendait patiemment que le dernier de leur bande vînt à passer pour s’élancer sur lui, selon sa coutume.

Le soleil, qui se leva presque aussi subitement qu’il s’était couché, éclaira les voyageurs pour gravir le reste du défilé, et rappela bientôt aux mahométans qui faisaient partie de la troupe les règles de leur religion. Ils entonnèrent donc la prière du matin connue sous le nom d’Allah akber, et le son prolongé en retentit au milieu des rocs et des ravines. Ensuite, ils continuèrent avec moins de peine leur marche fatigante, jusqu’à ce que le passage aboutît à une jungle sans bornes, au milieu de laquelle on apercevait seulement un haut fort de terre. Dans cette plaine, la rapine et la guerre avaient suspendu les travaux de l’industrie, et la riche végétation du sol avait en peu d’années converti une fertile campagne en un désert rempli de broussailles presque impénétrables. En conséquence, les bords d’un petit nullah ou ruisseau étaient couverts des traces qu’y avaient laissées les tigres et autres animaux de proie.

Les voyageurs s’arrêtèrent en cet endroit pour boire et pour se rafraîchir eux et leurs chevaux ; et, non loin de là, Hartley vit un spectacle qui le força de comparer le sujet qui occupait toutes ses pensées au malheur qui accablait un autre homme.

Dans un endroit peu éloigné du ruisseau, le guide appela leur attention sur un homme d’un aspect misérable, la barbe longue, les cheveux en désordre, assis sur une peau de tigre. Son corps était couvert de boue et de cendres, sa peau brûlée par le soleil, ses vêtements consistaient en quelques méchants haillons. Il ne sembla point remarquer la présence des étrangers, ne bougea point, ne prononça point un seul mot, et resta les yeux fixés sur un petit tombeau grossièrement construit avec les ardoises noires qu’on trouve abondamment en ce lieu, et présentant une petite niche pour une lampe. Lorsqu’ils s’approchèrent de cet homme, pour mettre devant lui quelques roupies, avec une poignée de riz, ils aperçurent à terre, près de lui, un crâne et des os de tigre, avec un sabre presque consumé par la rouille.

Tandis qu’ils considéraient cet objet misérable, le guide leur raconta sa tragique histoire. Sadhu Sing avait été sipahee, ou soldat, et pillard par conséquent. Né dans un village, maintenant à demi ruiné, qu’ils avaient traversé la veille, et dont il était l’or-