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de se marier, mais qu’un pieux sentiment de devoir envers un frère, un oncle, ou tout autre parent, attirait dans l’Inde pour tenir sa maison, jusqu’à ce que, sans s’en apercevoir, elles en eussent une pour leur propre compte. Il arriva au docteur Hartley d’assister à un déjeuner que donnait, à cette occasion, un homme qui remplissait un grade éminent au service de la compagnie. La demeure de son ami avait été récemment enrichie de trois nièces, que le vieux colon, justement attaché à son paisible hookah[1], et, disait-on, à une jolie fille de couleur, désirait présenter au public, afin de trouver une occasion de s’en débarrasser le plus tôt possible. Hartley, qui était regardé comme un poisson propre à mordre à pareil hameçon, contemplait ces trois grâces avec assez d’indifférence, lorsqu’il entendit une personne de la compagnie dire à une autre à voix basse :

« Anges et ministres du ciel ! voici notre ancienne connaissance, la reine de Saba, qui nous retombe sur les bras comme une marchandise invendable. »

Hartley regarda dans la même direction que les deux individus qui causaient, et ses yeux se fixèrent sur une femme ressemblant à une Sémiramis, d’une stature et d’un embonpoint extraordinaires, vêtue d’une robe de voyage coupée, recouverte de broderies, de ganses et de galons, de manière à ressembler à la tunique que mettaient les chefs des naturels par-dessus leurs habits. Sa robe était de soie cramoisie parsemée de fleurs d’or ; elle portait de larges culottes de soie bleu clair, avec un châle fin et de couleur écarlate autour de sa ceinture, dans laquelle était passé un poignard, dont le manche était richement orné. Son cou et ses bras étaient surchargés de chaînes et de bracelets, et son turban, formé d’un châle semblable à celui qu’elle portait autour de sa ceinture, était décoré par une magnifique aigrette, d’où partaient deux plumes d’autruche, l’une bleue et l’autre rouge, qui retombaient dans des directions différentes. Le front de couleur européenne, sur lequel reposait cette tiare, était trop élevé pour paraître beau, mais il semblait vraiment fait pour le commandement. Le nez aquilin de cette femme avait conservé sa forme, mais ses joues étaient un peu creuses, et son teint était si brillant, qu’on ne pouvait douter que l’art n’eût repeint son visage, depuis que la dame avait quitté le lit. Une esclave noire, richement habillée, se tenait derrière elle, avec un chowry, ou queue de

  1. Pipe des Indes. a. m.