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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

jamais avare en mit à grossir son trésor. Pour lui apporter ceci, je viens de bien loin ; et dans quel état le trouvé-je, hélas ! »

Je posai la boîte sur la table, et je me retirais à pas lents. Dans ce moment, les regards du moribond se fixèrent sur cet objet comme ceux d’un enfant sur un jouet brillant ; et aussitôt, avec l’expression de l’impatience et de la curiosité, il adressa, en bégayant, plusieurs questions à sa nièce. D’une voix douce, elle lui répéta à plusieurs reprises qui j’étais, pourquoi j’étais venu, etc. Je me détournais et j’allais m’éloigner d’une scène trop pénible pour moi, lorsque le docteur posant sa main sur mon bras : « Arrêtez, me dit-il, j’observe en lui quelque changement. »

Cela était vrai, et un changement marqué. Une faible rougeur se répandit sur ses traits décolorés ; ils parurent s’animer de cette intelligence qui appartient à la vie ; ses yeux brillèrent de nouveau, ses lèvres se colorèrent ; quittant tout à coup le maintien languissant qu’il avait eu jusqu’alors, il se leva sans aucun secours. Le docteur et le domestique s’avancèrent précipitamment pour lui servir de soutien ; mais il les repoussa, et ils se bornèrent à se placer derrière lui, de manière à le préserver de tout accident, si cette force qu’il venait d’acquérir si subitement venait à l’abandonner de même.

« Mon cher Croftangry ! » s’écria-t-il du ton de notre vieille amitié, « je suis heureux de vous voir de retour… Vous me trouvez dans un pauvre état, n’est-ce pas ?… mais ma petite nièce que voici, et le docteur… ont pour moi tous les soins de l’amitié… Dieu vous protège, mon cher ami ! Désormais nous ne nous rencontrerons plus que dans un autre monde. »

Je portai à mes lèvres la main qu’il me tendit, et je la pressai sur mon cœur ; j’étais sur le point de me précipiter à genoux ; mais le docteur, abandonnant le malade aux soins de sa nièce et de John, qui, après avoir poussé son fauteuil près de lui, s’efforçaient de l’y replacer, m’entraîna hors de la chambre : « Mon cher monsieur, me dit-il, vous devez être content : vous venez de voir notre pauvre malade plus ressemblant à ce qu’il fut jadis, que je n’aurais pu l’espérer : il y a bien long-temps que je ne l’avais trouvé ainsi, et peut-être ne le verrons-nous plus dans cet état jusqu’au moment où tout sera fini pour lui ! Toute la faculté n’aurait pu vous promettre cet intervalle lucide. Je vais voir maintenant si je puis en profiter pour améliorer sa situation. Je vous en supplie, retirez-vous. »