Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hélas ! les hommes ne savent pas aimer comme les femmes. Leur attachement pour nous n’est qu’une de leurs mille autres passions auxquelles ils donnent la préférence… Ils sont chaque jour livrés à des plaisirs qui émoussent leurs sentiments, et à des affaires qui les distraient. Nous… nous restons dans la maison, à pleurer, et à gémir sur la froideur dont sont payées nos affections. »

L’époque était maintenant arrivée où Richard Middlemas avait droit de prendre possession de la somme déposée entre les mains du clerc et du docteur Grey. Il la réclama, et remise lui en fut faite. Son ex-curateur lui demanda naturellement par quelle carrière il avait résolu d’entrer dans le monde. L’imagination du jeune ambitieux vit, dans cette question si simple, un désir, de la part du digne homme, de lui faire, et peut-être d’une manière pressante, la même proposition qu’il avait faite à Hartley. Il se hâta donc de répondre sèchement qu’on lui avait donné certaines espérances qu’il n’était pas digne de communiquer ; mais que, dès l’instant de son arrivée à Londres, il écrirait à l’ami qui avait veillé sur sa jeunesse, et lui apprendrait la nature de ses projets, qui lui offraient déjà, il était heureux de pouvoir le dire, une perspective très-avantageuse.

Grey, qui supposait qu’à cette époque critique de sa vie le père ou le grand-père du jeune homme avait peut-être annoncé une disposition à se mettre en relation directe avec lui, répliqua seulement : « Vous avez été l’enfant du mystère, Richard ; et vous me quittez de même que vous êtes venu ici. Alors, je ne savais d’où vous veniez ; aujourd’hui, j’ignore où vous allez. Ce n’est peut-être pas un augure favorable dans votre horoscope, que tout ce qui vous concerne soit un secret ; mais comme je penserai toujours avec affection à celui que j’ai connu si long-temps, vous, lorsque vous songerez au vieillard, vous ne devrez pas oublier qu’il a rempli ses devoirs envers vous, dans toute l’étendue de ses moyens et de son pouvoir : il vous a enseigné une noble profession, grâce à laquelle, partout où le sort vous jettera, vous pourrez toujours gagner votre pain, et alléger en même temps les souffrances de vos semblables. » Middlemas fut ému par le ton affectueux de son maître, et présenta ses remercîments avec un abandon d’autant plus grand, qu’il était délivré de la crainte du collier et de la chaîne, emblèmes de l’hymen, qui, un moment auparavant, semblaient briller dans la main du docteur, et s’ouvrir pour lui serrer le cou.