Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/272

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Menie Grey, après les promesses qu’ils s’étaient faites. Sa résolution était prise, pourtant ; il fallait nécessairement frapper le coup ; et cet ingrat amant, résolu depuis long-temps à ne pas jouir du bonheur de la vie domestique qui l’attendait si ses vues eussent été plus sages, songeait maintenant au moyen, non sans doute de rompre entièrement avec son amie, mais de différer toute pensée d’union jusqu’après la réussite de son expédition dans l’Inde.

Il aurait pu s’épargner toute inquiétude quant à l’idée que sa jeune épouse aurait voulu le suivre. Les richesses de cette Inde qu’il voulait visiter n’auraient pas décidé Menie Grey à quitter le toit de son père contre ses ordres et encore moins, à l’instant où, privé de ses deux aides, il allait être obligé de redoubler d’efforts sur le déclin de sa vie, et où il aurait pu se croire tout à fait abandonné, si sa fille l’avait aussi quitté en même temps. Mais quoique sa détermination de n’accepter aucune offre dont le résultat serait d’unir immédiatement sa fortune à celle de Richard fût prise d’une manière irrévocable, Menie Grey ne pouvait cependant, malgré l’adresse qu’on a toujours à se tromper soi-même quand on aime, réussir à se persuader qu’elle était satisfaite de la conduite de Middlemas à son égard. La modestie et un orgueil bien placé l’empêchaient d’avoir l’air de s’apercevoir de rien ; mais il lui était impossible de ne pas sentir amèrement que son amant préférait des vues d’ambition à l’humble sort qu’il aurait pu partager avec elle, et qui promettait contentement du moins, sinon richesses.

« S’il m’avait aimée comme il le prétendait (telle était la conviction involontaire qui s’élevait dans son esprit), mon père ne lui aurait certainement pas refusé les mêmes conditions qu’il avait proposées à Hartley. Ses objections auraient cédé à l’espérance qu’il a de me voir heureuse, et même aux instances de Richard, qui aurait ainsi dissipé tout soupçon sur la nature changeante de son caractère. Mais j’ai peur… j’ai peur que Richard ait à peine trouvé les conditions dignes de lui. N’aurait-il pas été naturel aussi qu’il m’eût priée, engagés l’un à l’autre comme nous le sommes, d’unir nos destinées avant qu’il quittât l’Europe, puisque j’eusse pu ou rester ici avec mon père, ou l’accompagner dans les Indes, à la poursuite de cette fortune qu’il ambitionne si ardemment ? Il eût été mal… très-mal à moi, de consentir à une telle proposition, sans que mon père m’y eût autorisée ; mais, sans aucun doute, il aurait été naturel que Richard me la fît.