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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

tard ; et je hâtai le pas, impatient de connaître ce qui m’attendait d’heureux ou de malheureux.

La plaque de cuivre sur laquelle étaient gravés le nom et la profession de mon ami était encore sur la porte ; et, quand elle s’ouvrit, l’ancien domestique qui se présenta me parut beaucoup plus vieux que, selon mes idées, il ne devait l’être depuis mon absence.

« Monsieur est-il chez lui ? demandai-je, en m’avançant pour entrer.

« Oui, monsieur, » répondit John en se plaçant de manière à me barrer le passage ; « il est à la maison, mais…

— Mais il n’y est pas, repris-je ; je me rappelle votre phrase d’autrefois, John. Eh bien, je monterai dans sa chambre et je lui écrirai quelques lignes. »

John parut évidemment étonné de mon air familier. Il voyait bien que j’étais une personne dont il aurait dû se souvenir ; mais il n’en était pas moins certain qu’il ne me reconnaissait nullement.

« Mais… monsieur… mon maître est chez lui ; mais… »

Au lieu de l’écouter, j’entrai, et pris le chemin de l’appartement qui m’était si bien connu. Une jeune dame en sortit alors l’air un peu troublé, à ce qu’il me sembla, et dit : « Qu’y a-t-il, John ?

— C’est monsieur qui insiste pour voir mon maître, miss Nelly.

— Oui, repris-je, c’est un ancien ami qui lui a de grandes obligations, et à qui il tarde, à son retour des pays étrangers, de revoir son cher et respectable bienfaiteur.

— Hélas ! monsieur, répondit la jeune dame, mon oncle serait sans doute heureux de vous revoir ; mais… »

En ce moment on entendit dans l’intérieur de l’appartement un bruit qui paraissait provenir de la chute d’une assiette ou d’un verre, et immédiatement après, la voix de mon ami appela sa nièce avec l’accent de la colère. Elle rentra sur-le-champ dans la chambre, et je la suivis ; mais ce fut pour voir un spectacle si triste, que la vue de mon bienfaiteur étendu dans sa bière aurait produit sur moi, en comparaison, une impression moins pénible.

Le grand fauteuil garni de coussins, les jambes alongées et enveloppées de flanelle, l’ample robe de chambre et le bonnet de nuit annonçaient bien une maladie ordinaire ; mais cet œil terne, autrefois si plein du feu de la vie, cette bouche maintenant flétrie et déformée, qui jadis, par un sourire fin, donnait tant d’expression à sa figure animée, le tremblement convulsif de ces lèvres qui ja-